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DON’T LOOK UP

Branle-bas de combat : une doctorante en astronomie et son professeur de l’Université de Michigan State découvrent qu’une comète de 9 kilomètres de diamètre a plus de 99% de chances de s’écraser sur notre belle planète dans peu de temps. Ces scientifiques vont devoir convaincre hommes politiques, entrepreneurs, journalistes et célébrités de leurs observations pour espérer sauver l’humanité tout entière.

CRITIQUE DU FILM

S’il est impossible de déterminer à quel point Adam McKay se veut être un cinéaste radical, il faut admettre que son cinéma n’a cessé de chercher la radicalité. La première partie de sa carrière, orientée vers le prolongement de sketches écrits avec Will Ferrell lors du Saturday Night Live, exacerbait les traits comiques des personnages en poussant chaque blague dans ses derniers retranchements. La longueur de certains de ses films (Légendes vivantes possède par exemple une version de 2h23 intitulée Super-Size) associée au caractère crétin des personnages au cœur du récit donnaient un aspect absurde et jusqu’au-boutiste à l’ensemble. 

Mais la radicalité de McKay est aussi devenue politique : malgré quelques éléments ponctuels traitant de l’actualité médiatique et historique brûlante dans ses premières œuvres, le réalisateur et scénariste prit un virage inattendu en tournant des œuvres engagées, presque politiques, se voulant impitoyable contre le système capitaliste nécrosé (The Big Short en 2015) et l’académisme étatique déterminé à n’être qu’un cercle vicieux (Vice en 2019). C’est dans ce contexte auteurial qu’apparaît Don’t Look Up, film de science-fiction au casting cinq étoiles sur un sujet aussi complexe qu‘alarmiste. Mais si la bande-annonce présageait une série de ricanements balayés par de vulgaires champs/contre-champs, Adam McKay réalise une surprenante synthèse de ses deux pendants de carrière dans l’optique de donner plusieurs variations plus ou moins qualitatives à sa farce. 

QUAKE AND BAKE

Du point de vue de la comédie, Don’t Look Up peut s’avérer foutraque mais contient l’intégralité du spectre humoristique de son auteur. L’appui de la musique jazzy composée par Nicholas Brittell et le nuancier léché du chef opérateur Linus Sandgren aident qui plus est à mener tambour battant la satire vers une immensité de possibilités hilarantes. Cependant, c’est le traitement unidimensionnel des seconds rôles qui fait surtout mouche. Il faut dire que McKay semble n’avoir rien perdu de sa verve comique et se révèle à nouveau comme un brillant directeur d’acteurs : tous les acteurs appuyant le duo principal (citons pêle-mêle Jonah Hill, Ron Perlman et Mark Rylance) tirent leur épingle du jeu et dévoilent d’emblée une situation aussi statique que leurs motivations et psychologies. Le choix de certaines coupes ou raccords malicieux permettent d’autant plus au film de ne pas essouffler son tempo, quitte à parfois se réinventer pour amener les situations dans un absurde impossible à deviner, sans que le tout ne s’enfonce, de ce point de vue, dans le cynisme le plus frelaté. 

En effet, le bât blesse plutôt dans la radicalité politique du film. Nombre de spectateurs, dont l’auteur de ces lignes, se pâmaient sur le générique de fin glacial et cynique du pourtant drôlissime Very Bad Cops du même réalisateur. Cette série d’animations faites via After Effects, sur la structure oligopolistique du modèle financier américain, amorçait sans crier gare le virage politique qu’allait entreprendre l’ex-compère de Will Ferrell au fil de sa carrière : s’attaquer à un phénomène ne serait, selon lui, que résoudre un millième du nœud duquel proviendrait ce phénomène. La suite de la carrière du cinéaste n’a alors guère surpris. The Big Short se concluait par une série de cartons-titres inquiétants sur l’horizon infini de la spéculation financière ; Vice faisait converger l’ensemble de ses démonstrations pour finir par présenter l’immunité physique et judiciaire d’un homme dont la soif de pouvoir n’avait aucune chance de s’interrompre ni de trouver une contestation structurelle. 

TOUT EST TOUJOURS POLITIQUE

Don’t Look Up s’inscrit également dans ce mouvement, par le prisme du tandem Leonardo DiCaprio / Jennifer Lawrence qui se démène pour faire entendre raison auprès du peuple américain. Ces deux acteurs, aussi bons soient-ils, sont d’ailleurs les points d’ancrage du spectateur mais surtout les seuls qui échappent sciemment au rythme comique : ce sont des actants dramatiques loin du cirque médiatique hors-sol auquel ils participent malgré eux. Reconnaissons le nihilisme ambiant qui traîne in medias res, et dont la noirceur étonne par instants. Toutefois et à l’instar de Vice, McKay ne traite l’urgence politique que comme une galerie de clins d’œil peu emballants en raison de leur superficialité. 

De la journaliste bimbo à la Fox News à une Présidente des États-Unis qui ne regarde que son portefeuille, l’aspect enragé du long-métrage s’égare dans des circonvolutions évidentes qui ne feront que satisfaire les personnes acquiesçantes, à défaut de toujours les faire rire. De même, les résidus de montage vertical signé Hank Corwin (d’ailleurs monteur de nombreux films de Oliver Stone) paraissent contre-productifs tant ils surélèvent un discours adolescent à la manière d’un versant d’Évangile. Tous les plans de coupe lors des séquences de discussions à la Maison Blanche (la bague de la Présidente, des cadres photo, des portraits présidentiels) semblent ex nihilo retourner vers une forme de démonstration bancale de choses que le spectateur peut très bien comprendre de lui-même trois minutes avant leurs apparitions. 

En outre, associer la crétinerie de bas-étage et un versant politique n’est pas antinomique. S’enfoncer tête baissée dans la vaste blague déconnectée de toute réalité aurait très bien pu induire au spectateur un référent qu’il se construirait seul, quitte à même le faire plus réfléchir à sa propre position face à l’absurdité générale – Trey Parker et Matt Stone le prouvent d’autant plus depuis 1997. Mais Adam McKay parait ne pas s’en apercevoir ; en résulte dès lors un film comblé de paradoxes, qui provoque l’hilarité autant qu’il agace par ses commentaires très légers sur l’actualité.

Ni réussi, ni complètement raté, Don’t Look Up restera une curieuse expérience schizophrène qui arrive pourtant à respecter sa durée sans trop traîner en longueur et à beaucoup faire rire sur de nombreuses séquences. 

BANDE-ANNONCE

24 décembre 2021 (Netflix) – D’Adam McKay, avec Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Jonah Hill et Meryl Streep