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DOS MADRES

Il y a 20 ans, on a séparé Vera de son fils à la naissance. Depuis, elle le recherche sans relâche, mais son dossier a mystérieusement disparu des archives espagnoles.

Critique du film

Avec pour toile de fond, les enfants volés du franquisme – près de 300 000 bébés retirés à leur mère entre 1940 et 1980 – Victor Iriarte compose une mosaïque mémorielle qui d’un même geste, exhume l’Histoire contemporaine de son pays et en panse les plaies. Dos Madres agit comme un contre-récit national en suivant un fil qui est autant un voyage intérieur qu’une suture.

Déchiffre et des lettres

Comme toujours, tout est histoire de forme, et Victor Iriarte prend soin de rendre celle de son film, sinon complexe, à tout le moins hybride. L’enquête et le récit de vengeance se nourrissent l’un l’autre tandis que la forme épistolaire vise à décoder les divers signes disséminés à l’image.

«Ça va être une histoire de terreur. Ça va être une histoire policière, un récit de série noire, et d’effroi. Mais ça n’en aura pas l’air parce que c’est moi qui raconterai. C’est moi qui parlerai et, à cause de cela, ça n’en aura pas l’air. Mais au fond, c’est l’histoire d’un crime atroce». La citation de Roberto Bolaño, placée en exergue du film, constitue un premier indice sur les dimensions politiques et intimes que Dos Madres entend embrasser. Vera représente à ce titre, les centaines de milliers de femmes, victimes des abominations du régime franquiste qui, par idéologie ou vénalité, leur a soustrait leurs bébés.

DOS MADRES

Le film commence alors que l’enquête de Vera s’achève, résumée dans une lettre qu’elle adresse a son fils Egoz, retrouvé à force de persévérance au sortir d’un dédale juridico-administratif dans lequel elle s’est mille fois perdue et plus souvent qu’à son tour exposée. Durant cette première partie (le film contient trois chapitres et un post-scriptum), Victor Iriarte intègre à un récit d’espionnage des signes plus personnels et sensoriels. Ainsi, les tunnels, parkings, couloirs et rayonnages de bibliothèques constituent un décor de thriller sec tandis que le portrait de la mère morte est esquissé d’abord par la présence de ses mains. Mains qui n’ont pu caresser, soigner, nourrir ou indiquer le chemin. Ce sont elles, celles de Vera mais aussi d’Egoz et de Cora, la mère adoptive, qui irriguent le récit, soulignent ou surlignent tout un jeu de réseaux : itinéraires de cartes géographiques, marbrures, veines bleutées de nouveau-né… Ce sont elles encore qui transforment les sons en mots (Véra est sténotypiste dans un tribunal) et les notes en musique (le piano, la console du DJ).

Le grand silence de l’Histoire

Dos Madres est de ces films qui avancent masqués, progressant par ellipses tout en construisant un réseau harmonique autour de ses trois protagonistes. Aux embuscades de l’Histoire, le film oppose la grâce d’une recomposition qui passe par une dérive géographique jusqu’aux rives du Douro. Egoz, suivi puis rattrapé par Cora, rejoignent Vera au Portugal. L’occasion de splendides séquences filmées à l’iris où tous deux semblent se redécouvrir. La délicatesse d’un panoramique dans un café revêt toute la force muette d’un cinéma primitif. Auparavant le film aura pris soin d’introduire Egoz et Cora dans leur vie quotidienne, lui, jeune homme à l’éducation accomplie entre sport, musique et fête. On notera pour le symbole qu’il n’est pas seulement musicien mais aussi facteur de pianos. Elle est veuve, c’est une histoire sans père. Elle enseigne le piano à domicile et voit son fils devenir un homme à travers le regard sans pareil de l’actrice Ana Torrent, qui, l’année dernière jouait encore une fille dans le somptueux Fermer les yeux de Victor Erice, film auquel on veut croire qu’une réplique anodine de Cora semble adresser un clin d’oeil.

INSÉRER TITRE DU FILM

Sans esquiver ni le drame, ni les larmes, le film finit par récolter les fruits d’un patient travail de liens souterrains pour offrir à ses personnages le cadre idéal à un apprivoisement résilient que le projet de vengeance de Vera transforme en complicité active. Cheveux teints en blond, le trio change d’apparence pour mieux s’accorder et mains en avant, en rythme, se lance à l’assaut du grand silence de l’Histoire.

Que se passe t-il après le mot fin, demandait Egoz enfant ? Le bonheur de vivre, quelques heures, quelques jours ou davantage, dans le sillon creusé par une histoire, des images. Avec le temps, se construisent des souvenirs un peu confus troués d’éclairs et parfois se forme une empreinte certes vaporeuse mais au creux de laquelle on a fini par déposer, clandestinement, un peu de soi-même. Comme si l’on était devenu une de ces silhouettes furtives à l’arrière d’un plan.

Bande-annonce

17 juillet 2024 – De Victor Iriarte
avec Lola Dueñas, Ana Torrent, Manuel Egozkue