Eden

EDEN

Au début des années 90, la musique électronique française est en pleine effervescence. Paul, un DJ, fait ses premiers pas dans le milieu de la nuit parisienne et créé avec son meilleur ami le duo «Cheers». Ils trouveront leur public et joueront dans les plus grands clubs de la capitale. C’est le début pour eux d’une ascension euphorique, vertigineuse, dangereuse et éphémère. C’est aussi le parcours sentimental d’un jeune homme qui accumule les histoires d’amour et qui n’arrive pas à construire.Eden tente de faire revivre l’euphorie des années 90 et l’histoire de la French Touch : cette génération d’artistes français qui continue de briller dans le monde entier.

LA NUIT N’EN FINIT PLUS

En 2014, Mia Hansen Love est au mitan de sa carrière de cinéaste. Après avoir été découverte actrice chez Olivier Assayas dans Fin août, début septembre en 1998, puis critique au Cahiers des cinémas, elle réalise son premier long-métrage en 2007 avec Tout est pardonné, magnifique premier acte d’une filmographie qui n’a cessé de se densifier et de se complexifier autour d’un regard unique. Si tous les films de la réalisatrice peuvent être considérés comme personnels, Eden se loge d’emblée dans une place bien particulière. C’est tout d’abord un scénario qu’elle co-écrit avec son frère Sven, dont l’histoire s’inspire au plus près. Mia filme la vie de son grand frère, sous le prétexte trompeur de parler de la french touch, ce mouvement de la musique électronique, et qui constitue l’incompréhension initiale autour du projet.

Une scène montre le petite groupe constitué autour de Paul, avatar de Sven, qui regarde une nouvelle fois Showgirls, réalisé en 1995 par Paul Verhoeven. Un affrontement fugace éclate entre des moqueries et une adulation trop rare pour ce qui demeure le dernier film du réalisateur hollandais à Hollywood. Showgirls apparaît comme un reflet du jugement porté sur Eden, chacun à son niveau. On peut parler de films incompris, à l’os, se livrant sans fioriture et portant en creux un discours radical. Là s’arrête sans doute la comparaison entre les deux oeuvres, car quand l’un est d’une violence visuelle de chaque instant, l’autre est d’une noirceur et d’une langueur qui hantent chaque plan, compris dans le regard désenchanté et triste de Félix de Givry.

Eden
La première scène d’Eden nous montre le petit matin qui suit une soirée au tout début des années 1990. Seul, Paul voit des oiseaux de feu imaginaires s’élever dans le ciel, et c’est comme si toute la couleur s’échappait à jamais de cette fiction pour ne jamais réapparaître. Cet incipit présente toute la fragilité du personnage principal, dont la voix chuchotante semble devoir se briser si elle devait forcer pour s’exprimer. Si le spectre temporel du film s’étend sur plus de vingt ans, c’est l’âme des années 90 qui semble tapie dans l’ombre, même quand la fiction traverse le début des années 2010. Si c’est là que naissent ces groupes dont les Daft Punk sont l’astre qui guida les ambitions, c’est aussi un moment où l’énergie vient à manquer pour une génération jeune en peine, sans identité véritable. Le garage qui est l’étendard porté par Cheers et ses soirées, est une musique qui fusionne la mouvance électronique naissante et la soul, le chaud qui rencontre le froid pour reprendre les mots des personnages.

Beaucoup espéraient une success story, quelque chose d’enthousiasmant ou peut être même de glamour autour de cette fin de siècle, alors qu’il n’y avait plus rien qui bougeait véritablement. C’est ce concept si difficile qu’arrive à capter Mia Hansen Love, une ambiance de mort, cette froideur indicible qui habite Paul. Il est celui qui séduit ses rencontres nocturnes, d’un amour de jeunesse rentré aux Etats-Unis, à une jeune « Djette douée », et surtout Louise, qui aurait du être la « bonne », celle avec qui on fait sa vie, ou tout du moins celle avec qui on essaye. Mais Paul est la personne à qui on ne peut pas faire confiance, avec qui on ne se projette pas, jamais. Les histoires se succèdent et se ressemblent pour celui qui n’assume pas sa dépression et dérive avec les années et une musique qui n’intéresse presque plus personne. Ce temps là aussi est passé, les intérêts éphémères de la nuit s’étant tournés vers d’autres lueurs plus brillantes.

Eden
Paul porte aussi le deuil et le mal de Cyril, cet ami parti après avoir réalisé sa seule œuvre, symbolisée par un dessin au feutre sur une ardoise. Encore de l’éphémère, mais jamais de bases solides, juste des mots qui flottent comme ces oiseaux enflammés des premières minutes. Comment se construire dans un instant où rien ne semble exister et rien n’est consistant ? Qui a connu cette décennie si particulière peut percevoir le parfum si spécial que tente de recréer Mia Hansen Love, cela sans complaisance ni apitoiement, sur une histoire qui est pourtant très proche d’elle. Eden est une œuvre dont il est difficile de ressortir sans un pincement au cœur, happé par un spleen si féroce qu’il accroche tout sur son passage, interrogeant l’abysse présent en chacun de nous. Ce très beau film malade avait échappé aux grands festivals européens, réservant sa première à Toronto, émergeant à coté des géants cannois, berlinois et vénitiens. Il révèle le visage de Roman Kolinka, qui illuminera l’Avenir et Maya, les deux films suivants de la réalisatrice française.



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