EL PROFESOR
Un professeur et père de famille apprend qu’une chaire de philosophie est vacante à la suite du décès d’un mentor.
CRITIQUE DU FILM
El Profesor est une première fois à plusieurs titres pour Benjamin Naishtat, son réalisateur. C’est tout d’abord l’occasion pour lui de s’embarquer sur les sentiers d’une comédie, construite comme telle, lui qui s’était fait remarqué depuis 2014 avec deux drames, Historia del miedo puis Rojo (en 2018), avec un style assez violent. Ce nouveau film est aussi l’opportunité de partager la réalisation avec Maria Alché, sa compagne, qui co-signe cette histoire dont le titre original, Puan, met plus l’accent sur le lieu, l’université, que le personnage principal. En effet, si Marcelo Pena (joué par Marcelo Subiotto) est de tous les plans, tout le scénario tourne bien autour de cette faculté de philosophie nichée au cœur de Buenos Aires, la capitale argentine, dont la chaire du professeur Caselli vient de se libérer à la mort de celui-ci.
Naishtat et Alché développent une narration tout d’abord très simple. Leur personnage principal est sympathique, mais un peu gauche, et les gags qui se succèdent sont très premier degré, dans un style très burlesque. On se moque gentiment de sa propension à se mettre dans des situations compliquées, et on aime également à tourner en ridicule son rival, le très médiatique et réputé Rafael Sujarchuk, revenu d’Allemagne où il est parti enseigner depuis vingt ans. Ce premier temps est d’abord très resserré sur ces deux personnages, dans un petit combat de vieux coqs qui se battent pour obtenir le même trophée, cette chaire qui signifie diriger toute une faculté et ses enseignements. L’un est le représentant de la stabilité et la perpétuation d’une ligne engagée depuis plusieurs décennies, quand l’autre se veut plus moderne et ouvert sur le contemporain avec son expérience à l’étranger.
Passé cet humour très léger et situationnel, on découvre un autre aspect du film, plus politique, qui se nourrit à la fois de la situation compliquée en Argentine, une crise économique qui touche de plein fouet l’enseignement supérieur, avec également une réflexion plus profonde sur les choix faits pour influer sur le cours de son existence. En une fraction de seconde, il n’y a plus de Puan, de cours, de semestre à préparer, et une situation presque insurrectionnelle se retrouve dirigée en pleine rue par tout le corps enseignant et leurs étudiants, confrontés à la violence policière. Les deux rivaux Marcelo et Rafael sont de nouveaux côte à côte, se révélant dans un moment difficile, loin de leurs atermoiements passés.
C’est pourtant bien un choix politique et personnel qui les rapproche alors qu’il les opposait quelques instants auparavant. Déjà dans le choix de l’orientation du département de philosophie politique, il y avait un questionnement fort sur l’orientation à donner entre conservatisme et réforme d’un enseignement qui pouvait avoir tendance à s’enliser dans une pratique peu remise en question. Marcelo est le plus touché par cet antagonisme, ce moment remettant en question les choix qu’il a pu faire ou oublier de faire, dans ces décennies où il a suivi aveuglement le sentier tracé par son mentor qui vient juste de décéder. Pour son épanouissement personnel, n’est ce pas le moment parfait pour décider ce qui pourrait lui permettre de renaître à un moment crucial de son existence ?
C’est en cela que la comédie écrite par les deux auteurs est brillamment construite, le scénario ayant d’ailleurs reçu le prix du meilleur script au dernier festival de San Sebastian. Le burlesque n’empêche pas le film de devenir plus qu’une simple série de gags, allant jusqu’à l’élever dans une lecture critique de la société argentine et une radiographie de la vie d’un homme qui se révèle dans un moment de crise, enfin conscient de ses choix.
De Maria Alché et Benjamin Naishtat,
avec Marcelo Subiotto, Leonardo Sbaraglia et Julieta Zylberberg.