FALCON LAKE
Une histoire d’amour et de fantômes.
Critique du film
Récompensé du Prix d’Ornano-Valenti lors du dernier festival de Deauville, quelques mois après sa présentation à la Quinzaine des Réalisateurs, Falcon lake marque les débuts à la réalisation de Charlotte Le Bon. Pour son premier passage derrière la caméra, la trentenaire a eu envie de porter à l’écran une bande-dessinée qui l’a séduite par sa sensibilité et sa subtilité : Une sœur de Bastien Vives. Un sacré défi qu’elle présente à l’auteur, initialement peu convaincu que son oeuvre soit transposable au cinéma. Pourtant, après de très nombreuses versions du scénario, la québécoise parvient à se la réapproprier et à lui apporter un ton et une identité qui lui soient propres.
En installant son histoire de la Bretagne à la région des Laurentides (au nord-ouest de Montréal) qui ont pour elle une valeur spéciale depuis son enfance, elle injecte une part d’intime et d’imagerie personnelle à Falcon lake. Une maison en bois un peu isolée, un lac, des forêts. Le décor est posé. Une famille arrive sur place et rejoint des amis de longue date dans ce lieu de vacances paisible. Parmi eux, deux adolescents, Chloé et Bastien, en pleine découverte d’eux-mêmes. Bastien a encore bien du mal à supporter son petit frère, à l’aube de l’adolescence où les garçons peinent parfois à s’affirmer. Chétif et sensible, il n’entre pas dans le stéréotype masculiniste du petit mec « cool » qui fait rire les filles. Chloé, elle, est un peu plus vieille que lui et commence à faire les quatre-cents coups. La nuit, elle fait régulièrement le mur et rejoint des amis en bord de lac pour danser ou boire quelques bières.
A ghost love story
Amis de longue date, ils conservent une certaine complicité, même si l’adolescente marque une certaine distance par rapport aux étés partagés auparavant. Au début, Chloé rejette presque Bastien, encore englué dans son dilemme interne – rester le garçon bien élevé et le grand frère attentionné ou se forger une image sociale plus entreprenante et sociable. Mais au fur et à mesure, l’un et l’autre se redécouvrent et une véritable alchimie naît entre eux. Pour Bastien, cela devient rapidement un vrai béguin, pas forcément apaisé par la proximité avec son amie, du fait de leurs lits attenants ou de leurs douches partagées.
Plus déroutant et troublant que de nombreux récits sur l’exaltation du premier amour, Falcon Lake trouve son incarnation dans les interactions entre ces deux jeunes personnages. Bastien, magnifiquement joué par Joseph Engel (déjà remarqué chez Louis Garrel dans L’homme fidèle et La croisade) est terriblement attachant dans la peau de ce garçon maladroit et étonnamment drôle et plein d’esprit. Chloé, incarnée par l’intrigante Sara Montpetit, l’impressionne par son insolence et son étrangeté. Grâce au regard sensible de son auteure, le personnage dépasse la simple esquisse de fantasme adolescent et exerce une certaine forme de fascination, renforcée par le plaisir malicieux que prend Le Bon à jouer de son esthétique macabre. Leur rapprochement n’en est que plus attendrissant, alors que leur affection réciproque grandit et que Chloé ose lui confier sa plus grande peur, celle de ne pas s’intégrer, qui la rend soudainement bien plus fragile qu’elle ne le paraissait.
Malgré quelques maladresses, notamment lors de son exposition un peu bancale, Falcon lake puise son charme et sa force dans l’ambiguïté de son récit, offrant à chaque spectateur l’espace pour recevoir et interpréter le film à sa façon et d’explorer les différents couches qu’il comporte. Le frisson des premières fois. L’amour et la mort. Candeur et étrangeté. Un premier essai singulier et prometteur que ce conte sur la fin de l’enfance.
Bande-annonce
7 décembre 2022 – De Charlotte Le Bon, avec Joseph Engel, Sarah Montpetit, Monia Chokri
Cannes 2022 / Festival de Deauville 2022