AUCUN HOMME NI DIEU
Aux limites de l’Alaska, une mère, Medora, perd son fils de 6 ans dévoré par les loups. Son mari militaire absent, elle fait appel à un écrivain spécialiste des loups, Russell Core, pour tuer la meute responsable de la disparition de son enfant.
Trop malpoli pour être malhonnête.
C’est acté, quand bien même plus personne n’en avait aucun doute : Jeremy Saulnier fait sien le cinéma de la haine. Blue Ruin y mélangeait de la vengeance. Green Room y ajoutait du rythme. Hold The Dark, son nouveau long-métrage sorti directement sur Netflix à l’international, ne perd rien ni ne crée rien : il ne prend même pas la peine de se transformer. Soit ici une haine silencieuse, une haine de taiseux, à l’image de ses personnages principaux. Au cœur de l’Alaska, Medora Slone (Riley Keough), procédant au deuil de son fils dévoré par les loups, engage un écrivain, Russell Core (Jeffrey Wright, parfaitement casté) pour tuer la meute coupable, le tout sous le poids du père, Vernon (Alexander Skarsgård), absent car servant son pays comme soldat au Moyen-Orient.
Malgré les interventions répétées de la police, le semblant d’enquête et l’atmosphère hivernale qui s’y prête, Aucun homme ni dieu est bien plus proche du thriller que du polar. D’abord parce que les flics sont souvent relégués au second plan. Surtout parce que Russell Core, le protagoniste aussi aride que les terres qu’il parcourt, n’en a pas vraiment grand chose à foutre. De sa mission présente, ni de rien, d’ailleurs. Jusque là, les personnages de Saulnier, bon gré, mal gré, possédaient un semblant d’énergie convertie en mue vengeresse. Ici, le monde est résigné, les hommes autant que les animaux et encore davantage la nature, comme si le cours des choses et du temps était voué à la vanité. Ainsi va la mise en scène de Saulnier, s’interdisant toute recherche esthétique formelle, comme le froid et le manque de ressources de vie interdit au monde qu’il dépeint de fournir un quelconque espoir.
Antipathique, le procédé, converti par Saulnier en parti pris, peut aisément rebuter. Il est pourtant indispensable à la démonstration au cœur de Hold The Dark : le cinéma de la haine, évoqué en introduction, est ici brut. Mal taillé. Des échardes en bardent sa surface pour éviter au spectateur de creuser une profondeur qui n’existe pas. Ses habituels carburants, s’ils sont exploités par le scénario, sont rapidement évacués : ni la guerre, ni la solitude, encore moins les Hommes ne servent de prétexte au fiel des Slone. Hypnotique et intimidant lorsqu’il laisse parler le silence ou l’action, en partie grâce à l’excellent score de Brooke et Will Blair (cadets de Macon Blair, au scénario), on peut toutefois reprocher à Hold The Dark de n’avoir su que faire de ses dialogues, pêchant en rythme, redondants dans l’intrigue, et pâles pourvoyeurs des inimitiés. En résulte un sentiment inégal, parfois rébarbatif, parfois intestinal. L’intrigue en pâtit, mais face aux coupes franches de l’adaptation face au roman de William Giraldi, n’est-ce pas le but ? Peu importe les faits, seule compte la destruction. Ici, on choisit d’en garder le dernier souvenir : celui où Saulnier ne s’excuse pas de montrer le pire visage de la haine. Tant mieux : la politesse n’est qu’un prétexte des gagne-petit.
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