realive critique

REALIVE

Fragile

Cryogénisé à la suite d’un cancer, Marc Jarvis est réanimé plusieurs décennies plus tard : au sein d’une société futuriste, il est le premier homme ressuscité.

L’avis après la mort.

Que la corde est fine, lorsqu’on réalise un film de science-fiction au budget serré. Les erreurs, on peut en commettre de tous les côtés ; la mort du spectateur peut survenir à tout moment, étranglé après son premier souffle ou percuté par un je-ne-sais-quoi qui déboule sur son chemin et lui faire perdre à jamais sa capacité à aller plus loin. Ce sentier de la peur, il est emprunté par Mateo Gil, fréquent collaborateur d’Alejandro Amenábar sur Tesis, Abre Los Ojos, plus récemment Agora. Voici donc Realive, porté par un titre générique qui inspire peu, peut être encore moins que son titre annexe : Projet Lazare. Puisqu’on vous dit que la corde est fine. Heureusement, le film est bien meilleur que son titre.

Le cinéma de genre espagnol, si on le prend dans sa définition large, celle qui permet de lui balancer avec toute la facilité du monde l’horreur, le fantastique, la science-fiction et l’anticipation, possède en son sang cette valeur qui lui sert de phare : l’humain. Une qualité salvatrice dès lors que ces films se battent contre des monstres de production et des tentatives indépendantes qui se croient bien plus intelligentes qu’elles ne le sont. Marc Jarvis (Tom Hughes) se sait condamné. Il fait appel à une société spécialisée dans la cryogénisation pour se sauver de la mort. Ce qu’ils font, dans une éthique professionnelle admirable, près de 70 ans plus tard, personnifiés par un scientifique-gourou (Barry Ward, parce qu’Aidan Gillen n’était pas dispo) et une ange gardienne (Charlotte Le Bon). Il va falloir réapprendre à vivre. Depuis le début. Mais cette fois, le poids de ce qu’il y a à découvrir est remplacé par le fardeau de ce que l’on porte en soi.

Copie décalée

L’humain, donc. Mateo Gil n’a vraiment que faire de nous montrer des portes qui coulisses quand on passe devant, qui s’ouvrent et qui se referment. Pas vraiment d’intérêt pour les voitures volantes et les coupes de cheveux futuristes non plus. Encore moins d’appétence à faire fuser gadgets et petits bips sinusoïdaux – ou alors, juste ce qu’il faut pour faire avancer le drame. Parlons-en, puisque Realive nous l’intime. Placé logiquement dans les organes clonés de son personnage principal, on découvre en même temps que lui un monde qui est nôtre et qui ne l’est plus tout à fait. Double enjeu, puisqu’il va falloir également retracer le parcours de Marc pour en cerner la vie – et par elle, les valeurs que le film transmet.

Point de grandes réflexions caduques sur le transhumanisme, ni sur Dieu, ni sur la foi, ni sur la vie avant et pendant la mort. Ces thèmes, lorsqu’ils sont soulevés, sont balayés d’un revers de la main. Il n’y a qu’à prendre pour exemple une définition de l’âme laconique, terrible, jetée en deux phrases, presque vulgaire. Realive traite avec douceur de l’infernale asynchronicité de la vie. Ces moments où l’on aurait dû aimer plutôt que pleurer ; ceux où l’on aurait dû parler plutôt que se taire ; suivre plutôt que dormir, et vivre plutôt que mourir. D’où une mise en scène et une photo évidemment brisées en deux, entre froideur clinique du futur et nostalgie embuée du passé. C’est d’ailleurs pour embrasser ces deux visions d’une vie que Mateo Gil utilisera son joker science-fiction, avec un petit appareil de visualisation numérique des souvenirs dont l’emploi emprunte à l’imagerie de la mémoire de l’autre telle qu’on peut la retrouver chez Nolan, récemment.

Un film parfait, Realive ? Évidemment que non. Mateo Gil mise absolument tout sur une empathie quasi immédiate envers son personnage principal, et surtout sa relation amoureuse qui sert de fil rouge à toutes les intrigues, narratives ou morales. Si bien que si les conquis vivront en complète symbiose avec leur corps filmique, les autres auront sûrement cette impression désagréable de se faire manipuler l’ADN par un scientifique peu scrupuleux. Où l’on peut aisément imaginer les multiples flashbacks et les interrogations éthiques et philosophiques (galvaudons le terme, allons-y) pousser comme des membres fantômes, incontrôlés, incontrôlables, comme des extensions de soi forcées qu’on rejette avec véhémence. Le sort de Realive dépendra donc de la capacité du spectateur à s’approprier l’ossature artificielle de ce clone à l’écran. Avec au bout, pour ceux qui en acceptent la greffe, un défi de taille : à vivre éternellement dans une belle histoire, est-on au paradis, en enfer, ou au purgatoire ?

La fiche
realive affiche

REALIVE
Réalisé par Mateo Gil
Avec Tom Hughes, Charlotte Le Bon, Oona Chaplin…
Espagne – Drame, science-fiction

Sortie : 6 juin 2018
Durée : 112 min




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