SHÉHÉRAZADE
Zack sort de centre de détention pour mineurs. Sa mère ne pouvant le prendre chez elle, il doit retourner en foyer avec son éducatrice. Ce projet de vie n’est pas du goût du jeune homme qui s’enfuit dans la ville de Marseille. Sans argent, parents ni endroit où vivre, il croise la route de Shéhérazade, jeune fille qui se prostitue dans le quartier de la Rotonde.
Luttes d’influences
Premier long-métrage de Jean-Bernard Marlin, Shéhérazade a par bien des aspects un vernis naturaliste qui se rapproche de très près du documentaire. En effet, l’auteur a choisi des acteurs non professionnels, poussant parfois très loin le mimétisme, notamment pour le personnage principal joué par Dylan Robert, lui aussi passé par la prison pour mineurs. Malgré tout, le film demeure bel et bien une fiction, et cela se ressent également dans la mise en scène du réalisateur phocéen. En effet, le rythme imprimé se rapproche parfois du film de genre, avec ses codes, passions, armes à feu, scènes de tribunaux. La rencontre de ce milieu de jeunes prostituées, leur langage, leurs difficultés et la violence qui animent leur quotidien, ce sans voyeurisme, est un premier choc offert par le film.
Zack, bien que violent, est un personnage touchant jusque dans sa découverte de ce milieu, qui, dans un premier temps, devient sa porte de sortie après sa fuite du foyer pour mineurs. Devenu une sorte de proxénète pour ces jeunes femmes, il s’épanouit au sein de ce sous-prolétariat marseillais où il affronte les luttes d’influences entre groupes, les règlements de compte, et la mesquinerie de personnes qu’il croyait être ses amis. Autour de son identité de petit roitelet de quartier, qui ne doit jamais montrer aucune faille, sa sensibilité émerge. Il ne supporte pas de voir Shéhérazade se livrer à son activité, il semble souffrir à chaque instant. Le film se déroulant, ces lignes de fracture dans sa personnalité se développent et laisse apparaître un jeune homme différent, piégé dans un système qu’il avait appréhendé avec beaucoup de candeur et sans grande réflexion.
Verbeux et peu enclin à laisser s’épanouir des silences, le film délivre pourtant dans son dernier tiers quelques beaux moments d’introspection quand vient le moment des choix les plus douloureux. Ce jeune homme qu’est Zack semble grandir à vue d’œil dans ces moments charnières. Film de codes, où la loi du silence est reine, mais film d’amour également, car sa relation avec Shéhérazade remet en question les fidélités du quartier et les non dits qu’il faut respecter. Si l’action peut devenir par moment romanesque, comme lors du procès final, la mise en scène de Jean-Bernard Marlin ne surligne pas les intentions, elle se contente de regarder, de pointer les intervenants, et pour la première fois on voit Zack réfléchir, et dessiner une nouvelle hiérarchie dans ses priorités, devenir adulte en quelque sorte.
Ancré dans le réel, l’intrigue de Shéhérazade déploie donc des trésors de créativité qui charment par la puissance de ses émotions. Les aspérités des personnalités de chaque protagoniste, preuve de la qualité de l’écriture du script de Jean-Bernard Marlin, sont incarnés avec brio par de jeunes acteurs novices qui habitent longuement l’esprit après la projection du film. Profond, dense et donc particulièrement sensible, le film étonne comme il se réinvente dans son découpage, multiple et à la fois simple dans son exploration des sentiments chez ces jeunes gens. Auréolé du prix Jean Vigo 2018, Shéhérazade est un choc plein d’audace et de fraîcheur qui est une des belles surprises françaises dans cette année cinématographique.
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