plouc

FILS DE PLOUC

Quand Issachar et Zabulon, deux frères d’une vingtaine d’années qui habitent encore chez leur mère, perdent son petit chien Jacques-Janvier, la matrone leur donne 24 heures pour le retrouver. Passé ce délai, elle les mettra dehors. Malheureusement, Issachar et Zabulon ne sont pas bien malins. Leurs pérégrinations vont les amener à traverser tout Bruxelles à la recherche du cabot. De quoi semer la zizanie sur leur passage.

Critique du film

Deux frères errent dans Bruxelles avec leur chien. Affamés, ils tentent de voler dans un supermarché, avant de se faire attraper. Quand ils en sortent enfin, leur chien a disparu. On se croirait presque dans Wendy & Lucy. A ceci près que les protagonistes, Issachar et Zabulon, sont d’authentiques, de superbes crétins. Ils sont issus d’une longue lignée d’abrutis candides, des Marx Brothers – l’un des réalisateurs et acteurs principaux de Fils de plouc ne s’appelle pas Harpo pour rien – aux pitreries des Frères Farrelly, Dumb & Dumber en ligne de mire évidente, à Napoleon Dynamite et autres Eric & Ramzy pour n’en citer qu’une poignée.

Pour autant, Fils de plouc transgresse habilement cet héritage, en associant autant l’idiotie de leurs personnages à une outrance punk qui rappelle Pink Flamingos de John Waters ou C’est arrivé près de chez vous qu’à une forme d’hystérie frénétique proche du cinéma des frères Safdie. Dans le film de Lenny et Harpo Guit, Bruxelles n’est pas tant arpentée qu’elle est courue et parcourue en long, en large, et surtout en travers. La ville n’est qu’une vaste aire de jeux pour Issachar et Zabulon. Mais ce n’est pas le seul pan de l’environnement qui relève de cette dimension ludique.

LA TENDRESSE DES IMBÉCILES

Grands enfants turbulents coincés dans des corps de jeunes adultes, absolument tout est un jeu pour les deux frères. Le spectateur assiste alors, avec un immense plaisir régressif, aux pitreries d’un « sur-enfant », qui désarçonne les autres adultes par son paradigme. Clowns désarmants de vulgarité, Issachar et Zabulon, et leur franc-parler jubilatoire, n’ont aucunes limites quand il s’agit d’insulter, dire ce qu’ils pensent, ou préparer une bouffonnerie alambiquée. Leur esprit, comme leur corps, semble inépuisable, à l’image des kilomètres courus, ou des avalanches de coups reçus. Leur puérilité trouve toutefois sa splendeur pas tant dans le contrechamp désapprobateur des actions des lurons, mais dans l’extrémisme des situations vécues par les frères. Fils de plouc ne se refuse absolument rien en matière d’humour, et c’est l’une de ses plus grandes qualités.

Si l’on se gardera bien de détailler les horribles péripéties qui attendent les deux frères, le film cultive judicieusement un sens de l’interdit à briser. La plus stupide, ou la plus affreuse situation prête à rire car elle trouve en contrechamp tantôt une exagération, tantôt une indifférence enfantine sublimement sincère. En cela, le film à des allures de cartoon complètement punk, où les situations ne sont pas si graves, où tout est jeu. Un film délicieusement en roue libre, fou de faire uniquement ce qu’il entend. D’autant que Fils de plouc à l’intelligence de ne jamais jouer à la bête surenchère, contrairement à nombre de comédies trash. Certes court, le film tient la longueur dans ses trouvailles de mise en scène, mais surtout en privilégiant une narration à rebondissements au lieu d’une courbe exponentielle et ennuyeuse de bêtises. Les frères Guit ouvrent leur film par la pure débilité de ses héros, dans une scabreuse et jusqu’au-boutiste scène inaugurale. Cet incipit follement débridé, sans limites, a quelque chose de profondément réjouissant, et donne le La à l’ensemble foutraque de Fils de plouc.

Fils de plouc

L’autre immense qualité du film est sa focale humaniste permanente. Curiosité dans cette comédie outrancière, la condition sociale et financière – difficile – des deux frères, est abordée tout le film. Issachar et Zabulon répètent qu’ils ont faim, n’hésitent pas à mendier, sans que ça ne soit un ressort comique, juste une toile de fond. De même, leur mère Cashemir, prostituée, est en burn-out, harcelée par plusieurs hommes, et peine à trouver un équilibre sentimental entre ses enfants et leur père absent. Ce même paternel, incarné par Mathieu Amalric, finit par triompher de son statut de « caméo de luxe » dans un geste sentimental maladroit, niais, mais tellement sincère.

Car cette focale ne saurait être réussie sans la tendresse qu’insufflent les frères Guit à leurs personnages. Les principaux, Issachar et Zabulon sont de grands enfants, avec la candeur que cela suppose. À cet égard, leur bouleversement à l’idée – radicale à leurs yeux – que leur mère puisse ne plus les aimer, offre au film sa dimension sensible. Car il y a quelque chose de naturellement touchant dans le malheur de ces imbéciles. Sans doute parce que leur paradigme enfantin, figurant leur inadaptation au monde, nous ramène à abandonner notre propre candeur, afin de survivre dans le système désenchanté et cruel des adultes. C’est parce qu’ils sont extérieurs à cette forme systémique de méchanceté qui s’abat sur les plus faibles, contrairement aux poncifs de la comédie outrancière, que les splendides crétins sont si beaux et singuliers. En évacuant toute méchanceté pour ses personnages – sauf les affreux, loin d’être bêtes – Fils de plouc témoigne avec poésie de la bonté irréelle des idiots.

Frontalement extrême, pour autant pas dénué de cœur, Fils de plouc est l’une des plus folles comédies de l’année, un geste ahuri de liberté. Loin de la méchanceté crasse pour choquer à tout prix, Harpo et Lenny Guit privilégient un ludisme de chaque instant, pour fuir un environnement morne, retrouver une enfance insouciante, où tout semblait sans importance, quitte à être tout le temps en train de courir.

Bande-annonce

18 novembre 2021 (Inédit OCS) – De Lenny et Harpo Guit
avec
 Maximilien Delmelle, Harpo Guit, Claire Bodson et Mathieu Amalric