FUMER FAIT TOUSSER
Critique du film
Avec pas moins de cinq films mis en boîte depuis 2018, on pouvait craindre que le prolifique Quentin Dupieux ne s’engage sur la dangereuse voie d’un cinéma ‘’à formule’’ vite expédié ; venant aseptiser une œuvre pourtant reconnue comme éminemment singulière au sein du paysage cinématographique international. Roublards dans leur mise en scène, les derniers projets du réalisateur se sont révélés être avant tout des exercices de style très stimulants, mais dont la mécanique très identifiable n’aura pas échappé aux inconditionnels du cinéaste, laissant entrevoir de-ci de-là quelques signes inévitables d’essoufflement. Incroyable mais vrai semble d’ailleurs avoir cristalliser certaines limites de la recette Dupieux. La présentation de son dernier film hors compétition à Cannes avait donc de quoi soulever quelques inquiétudes entre l’espoir d’un renouveau pour les uns et la crainte d’une redite en passe d’institutionnalisation pour les autres.
Découvrir Fumer fait tousser provoque d’abord un pur plaisir immédiat de spectateur pour qui apprécie les élans les plus absurdes du cinéaste. Dupieux n’est jamais aussi bon que lorsqu’il déconstruit son récit sans crier gare, lance des pistes de narration qui n’aboutissent pas et se perd dans des circonvolutions scénaristiques improbables : des super-héros qui affrontent une tortue géante en caoutchouc, un rat baveux un peu trop porté sur la chose, des vacances entre amis qui tournent au slasher… Le film part dans tous les sens, certes, mais sans jamais donner l’impression qu’il ne va nulle part. Au contraire, les séquences s’enchaînent avec une fluidité rare, prouvant sans cesse que ce joyeux bordel est orchestré avec la plus grande des précisions.
La machine pourrait cependant tourner à vide très rapidement si le délire n’était pas assumé jusqu’au bout. C’était le principal problème d’un des derniers travaux du cinéaste, Mandibules, qui avançait sur les rails d’un comique de situation trop ronronnant et familier pour vraiment convaincre. Or, si Fumer fait tousser navigue dans un univers « Dupieusien » pur jus, il a cette petite étincelle d’énergie supplémentaire qui fait toute la différence et se ressent à tous les niveaux de fabrication du projet : l’entièreté du casting s’amuse visiblement beaucoup à incarner des super-héros tout droit sortis d’une série Sentai des années 80 (Power Rangers, Bioman, voire même sa parodie culte, Biouman, signée Les Inconnus), les effets visuels oscillent avec beaucoup d’habileté entre un kitsch volontaire et un gore réjouissant quand les ruptures de rythme opérées par le montage finissent de donner à l’ensemble un rythme redoutable.
Qu’on se rassure, le cinéma de Quentin Dupieux ne rentre toujours pas dans une case bien définie si ce n’est celle qu’il s’est lui-même créée. Le réalisateur continue de se faire plaisir en investissant à sa manière les influences cinéphiles et pop-culturelles qui lui sont chères, et le fait avec l’entrain d’un sale gosse particulièrement communicatif. Et si Fumer fait tousser ne représente ni une rupture, ni un renouveau comme a pu l’être Réalité avant lui, force est de constater que le savoir-faire du réalisateur reste intact pour proposer des œuvres qui demeurent, à ce jour, ce qui se rapproche le plus d’une adaptation du théâtre de Ionesco pour le grand écran.
Bande-annonce
30 novembre 2022 – De Quentin Dupieux, avec Adèle Exarchopoulos, Anaïs Demoustier et Gilles Lellouche