GATTACA
Dans un monde soumis à une impitoyable sélection génétique, un homme fragile mais ambitieux tente de réaliser son rêve : participer à une mission spatiale. Pour cela, il va endosser l’identité d’un autre.
CRITIQUE DU FILM
Il est rare d’aborder un film par le biais de sa bande originale. Pourtant, celle du compositeur anglais Michael Nyman pour Bienvenue à Gattaca (1997) est si réussie et joue un rôle tellement primordial dans le film qu’elle justifie d’enfreindre cette habitude (d’ailleurs absurde). Dès le générique de début, le thème principal, porté par les cordes, plonge le spectateur dans un univers futuriste (ou espérons plutôt alternatif) par le biais d’un lyrisme à fleur de peau. Avec la répétition inlassable d’une boucle mélodique, le compositeur traduit en musique toute la détermination du personnage principal, Vincent, joué par Ethan Hawke, dont le rêve est de partir dans l’espace. D’un lyrisme à la fois triste et serein, ce thème majestueux contient toute l’âme du film et en garde bien le secret.
Dans une société où chacun doit cacher ses émotions, la musique permet de pénétrer dans l’esprit des personnages et constitue un atout primordial pour ressentir et comprendre leur progression dramatique. Comme il l’avait fait pour La leçon de piano (1993), Nyman met son style de musique répétitive et mélodique à profit, ce qui rend l’expérience du film inoubliable. « La musique de film est à son meilleur quand elle dit quelque chose que les acteurs et les images ne peuvent exprimer. Quand elle transmet à la fois l’espoir et la tristesse dans la même composition, alors elle est vraiment remarquable », dit Andrew Niccol dans la pochette d’une BO qui s’impose désormais comme une des plus inspirées de l’histoire du cinéma. Et qui permet à son auteur de dialoguer avec la musique classique*.
Guidé par la musique, le spectateur peut se frayer un chemin dans les méandres d’un film complexe, à l’image du monde qu’il dépeint où presque tout est prémédité et où la discrimination a été élevée au rang de science. Afin d’atteindre son rêve de devenir astronaute, lui qui est considéré comme un être inférieur car né naturellement, Vincent s’approprie l’identité de Jerome Morrow (Jude Law), un être génétiquement parfait, mais qui a perdu l’usage de ses jambes à la suite d’une tentative de suicide ratée (le morceau entraînant Becoming Jerome illustre bien l’aboutissement de cette quête d’identité). À cette première intrigue se mêle une deuxième : une enquête menée par deux policiers sur le meurtre du directeur du centre spatial où se déroule le film (centre dont le nom Gattaca est formé par les initiales des quatre nucléobases de l’ADN).
De plus, la rencontre de Vincent avec Irene Cassini (Uma Thurman, qui a son propre thème musical) et leur attirance mutuelle donnent au film un sous-texte amoureux qui crée un contraste bienvenu avec l’aspect froid et déshumanisé de cet univers dont les immeubles aux lignes épurées sont synonymes de perfection (le tournage a eu lieu dans des bâtiments réels, notamment celui dessiné par Frank Lloyd Wright à San Rafael en Californie). Enfin, la relation de Vincent avec son frère Anton donne lieu à un plot twist que nous tairons pour ceux qui n’ont pas encore vu le film.
Film hybride
Comme son prédécesseur Blade Runner (1982) mais complètement différemment, Bienvenue à Gattaca est un film hybride, génétiquement modifié, croisement entre deux genres constitutifs du cinéma : le polar et la science-fiction. Privilégiant un design rétro-futuriste, ainsi que des procédés comme le flash-back ou la voix off, le premier film d’Andrew Niccol – il est sorti en salles aux États-Unis huit mois avant The Truman Show, dont Niccol avait écrit le scénario et qu’il devait initialement réaliser avant de laisser la place à Peter Weir – crée un monde tout à fait étrange dans lequel les objets du futur se mêlent à ceux du passé (les chapeaux des années trente, des voitures électriques aux courbes dessinées dans les années soixante). Autant d’éléments disparates qui sont unifiés par la musique.
Bienvenue à Gattaca plonge le spectateur dans un monde très différent du nôtre en apparence mais dont la course à la réussite et la détermination de classe nous semblent très familières. C’est une réflexion sur un avenir possible de l’humanité, un avenir tout à fait inquiétant dans lequel l’auto-détermination n’est possible qu’au prix d’efforts surhumains et de beaucoup de chance. Notre monde actuel en est-il finalement si éloigné ?