GÉNÉRIQUES, LA VRAIE HISTOIRE DES FILMS
Journaliste et écrivain passionné par le cinéma américain, Philippe Garnier revient sur la genèse de certains grands films des années 1940 à l’année 1977.
CRITIQUE DU LIVRE
Une histoire de la création du cinéma américain, voici le projet ambitieux de Philippe Garnier dans ce nouveau livre divisé en trois parties. Et le moins que l’on puisse dire est qu’il est bien placé pour la raconter. Né en 1949, Garnier vit à Los Angeles depuis quarante ans. À compter de 1982, il a été correspondant pour Libération, collaborant également à l’émission Cinéma, Cinémas qui lui a permis de rencontrer et interviewer de nombreux témoins du cinéma hollywoodien classique. En tant que traducteur, il a fait connaître en France de nombreux auteurs tels que Bukowski, John Fante, James Crumley ou encore James Salter. Il est l’auteur de plusieurs livres consacrés au cinéma, notamment Honni soit qui Malibu (1996), Caractères (2006) et Sterling Hayden, l’irrégulier (2019).
Dans ce nouveau projet baptisé Génériques et divisé en trois volumes, Philippe Garnier raconte la genèse occulte de projets mémorables. Il s’intéresse au rôle de certains talents méconnus (producteurs, scénaristes, etc.) et cherche à les révéler au grand jour, car derrière le fonctionnement opaque de l’industrie hollywoodienne, ces personnages hauts en couleurs sont des rouages essentiels.
À la traditionnelle approche critique, Garnier privilégie une méthode de recherche qui associe témoignages inédits, étude méthodique des archives (presse, documents internes des studios, etc.), quête iconographique.
Ces trois volumes ont pour but de réunir des textes qu’il avait rédigés pour des éditions vidéo épuisées depuis longtemps, dans des versions augmentées. On y trouve une mine d’informations incroyable, le tout dans une prose vivante et accessible, qui rend la lecture passionnante. Sorte de rubrique trivia d’IMDB très fournie, ses livres nous plongent dans le processus de création filmique comme si on y était. Garnier raconte : « Il ne s’agit pas ici d’invoquer une nouvelle école ou approche dans l’étude du cinéma classique hollywoodien, mais de raconter des histoires. Et accessoirement d’attirer l’attention sur des champs d’études encore peu explorés : raconter, de la façon la plus détaillée et la plus documentée possible, la genèse de certains films. Attirer l’attention des amoureux du cinéma vers ces sables mouvants que constituent les génériques – parfois exacts, plus souvent trompeurs, et difficiles à interpréter. »
Chacun pourra piocher dans cette mine d’or, selon ses périodes de prédilection, de quoi assouvir sa curiosité et sa passion pour le cinéma. Histoire d’éveiller la curiosité, voici quelques exemples. Garnier décortique la soif de réalisme dont fait preuve Richard Brooks lors du tournage de son excellent De sang-froid (1967) : « Disposant d’un budget confortable de trois millions huit, Brooks préférait dépenser l’argent en jours de tournage (un peu moins de trois mois) plutôt qu’en salaires d’acteurs. Les gens de Holcomb et de Garden City furent employés comme extras, les journalistes locaux qui avaient couvert l’affaire retournèrent une fois de plus sur la scène du crime et au tribunal. Brooks alla même jusqu’à employer le vrai bourreau qui avait ouvert la trappe pour Hickcock et Smith. Brooks poussa aussi la maniaquerie jusqu’à tourner dans le palais de justice de Garden City, et louer la maison des Clutter, en échange de 15 000 $. Le fétichisme le plus suspect fut atteint lorsque Tom Shaw s’arrangea pour acquérir auprès des responsables de la prison d’État les deux urinoirs qui se trouvaient dans les cellules de Smith et Hickock au « Corner », comme les résidents appelaient Death Row à Lansing. » Ou encore : « Brooks dut aussi se battre pour imposer son choix de compositeur. Columbia voulait Elmer Bernstein ou quelqu’un de ce genre pour écrire la musique. Brooks avait décidé que ce serait Quincy Jones. Ce dernier a plus tard révélé que Brooks aurait dit aux pontes du studio : « Allez-vous faire foutre, Quincy Jones fait la musique et c’est tout. »
Concernant le Capote sorti en 2005, Garnier raconte : « Premier film de Bennett Miller, premier scénario de Dan Futterman, il ne doit son existence miraculeuse qu’à l’acteur qui joue le rôle vedette. Philip Seymour Hoffman, malgré une ressemblance superficielle avec Capote, avait tout à perdre dans cette histoire. Seule la qualité du scénario de Fetterman l’avait persuadé́ de se laisser tenter. Les trois premières semaines de tournage lui avaient fait regretter sa décision, mais il avait fini par entrer dans la peau de son personnage. »
Notons que les heureux visiteurs du Festival de Deauville cette année ont eu l’opportunité de rencontrer l’auteur lors d’une séance animée par Jean-François Rauger, journaliste au Monde et directeur de la programmation à la Cinémathèque française, laquelle a d’ailleurs organisé en septembre un cycle de films en lien avec les trois volumes du livre de Garnier qui sortent le 3 octobre.
Vol. 1. Années 1940-1949 (291 pages)
Vol. 2. Années 1950-1959 (373 pages)
Vol. 3. Années 1962 à 1977 (339 pages)
Éditions The Jokers Publishing. Prix de vente : 20€ le volume – édition limitée à 1000 exemplaires par volume. Sortie : le 3 octobre 2022.
Les trois volumes de Génériques sont disponibles sur kisskissbankbank
À lire également notre entretien avec Philippe Garnier.