Goliath

GOLIATH

France, professeure de sport le jour, ouvrière la nuit et militante ; Patrick, obscur et solitaire avocat parisien spécialisé en droit environnemental ; et Mathias, lobbyiste et homme pressé, vont voir leurs destins bouleversés et entremêlés par l’acte terrible d’une agricultrice désespérée.

Critique du film

Dark Waters, Rouge ou encore Erin Brockovich… Depuis le début des années 2000, nombreux sont les films à s’être inspirés de scandales sanitaires ayant bousculé l’opinion publique. Ces affaires demeurent généralement des sujets en or pour mettre en scène le combat d’un individu contre le système, qui tentera par tous les moyens de mettre en lumière les agissements d’une industrie sciemment nocive à l’égard de sa population. Avec son titre évocateur, Goliath se place à première vue dans la droite lignée de ces thrillers tendus à vocation d’éveiller les consciences.

La mort est dans le pré

Marqué par la lecture de l’essai d’Isabelle Saporta, Le livre noir de l’agriculture, Frédéric Tellier imagine donc une fiction autour du sujet controversé de la régulation des pesticides dans le milieu agricole français. Fort d’un scénario solide qui a nécessité plus de 2 ans d’écriture (et autant de temps d’entretiens avec différents journalistes et experts), le réalisateur de Sauver ou périr construit son film en souhaitant celui-ci le plus réaliste et contemporain possible.

Démarrant sur une scène de procès opposant la famille d’une jeune agricultrice décédée – vraisemblablement victime d’une exposition trop massive aux pesticides – et la mutuelle de cette dernière, le film met immédiatement en exergue le déséquilibre des forces qui existe entre l’humain et « l’organisation ». Que celle-ci soit de nature politique, administrative ou entrepreneuriale, sa dimension intangible semble lui octroyer un pouvoir sans limite qui lui donne un coup d’avance systématique sur l’individu. Et dans ce cas précis, la mort d’une jeune femme ne représente qu’un infime caillou dans la sandale d’un système vicié. Caillou rapidement évincé à grand renfort de magistrats grassement payés, coup de com’ et autres arrangements financiers. Peu importe que la victime soit défendue par un brillant avocat à la rhétorique à priori implacable, le système reste plus fort.

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Face à un constat aussi désolant, le script de Tellier et Simon Moutaïrou a l’intelligence de rappeler que derrière toute organisation, aussi nébuleuse soit elle, se niche une pléiade d’êtres humains animés de motivations et sentiments qui leur sont propres. La multiplicité des points de vue permet donc au cinéaste d’interroger la morale de chacun de ses personnages, que ces derniers soient victimes ou bourreaux ; quitte à se perdre parfois dans un didactisme un peu trop appuyé. C’est notamment le cas avec le personnage de lobbyiste cynique incarné par un Pierre Niney pourtant investi.

Ouvertement présenté comme l’antagoniste détestable de l’affaire, sa trajectoire unilatérale manque quelque peu de nuance pour réellement donner au spectateur matière à réflexion sur les conflits intérieurs qui pousseraient un tel être à agir de la sorte. Un trait d’écriture d’autant plus marqué que cette dualité est parfaitement retranscrite chez les protagonistes de ‘’l’autre camp’’, qu’il s’agisse de France (émouvante Emmanuelle Bercot), ouvrière militante au enjeux intimes déchirants ou bien Patrick (Gilles Lellouche, impeccable), avocat des victimes, repenti d’un lourd passé.

À bout de souffle

Caméra à l’épaule, le film suit ses personnages dans un mouvement véloce quasi ininterrompu qui, au-delà de donner au long métrage un rythme redoutable, traduit l’obstination absolue des différents partis impliqués et dévoués à leur cause. Qu’il s’agisse de sauver un proche malade ou assurer un vote en faveur de l’utilisation de pesticide au Parlement européen, l’acharnement est identique, peu importe les moyens et armes utilisés pour parvenir à ses fins.

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Dans la continuité de son travail sur l’Affaire SK1, Fréderic Tellier filme la ténacité d’individus aux prises avec un système absurde qui les dépasse complètement. Chacun se débat comme il peut pour surnager dans un théâtre politique et social kafkaien d’une cruauté glaçante. Un combat d’aucun ne sortira vainqueur tant chaque protagoniste y aura au bout du compte sacrifié son humanité, sa santé, voire sa vie. Encore une fois, le système semble avoir remporté la bataille.

Edifiant et documenté, Goliath se pose donc comme un miroir peu reluisant dans lequel se reflète les travers et dérives d’une société malade et à bout de souffle. Pertinent dans son propos et ultra efficace dans sa forme, le troisième film de Fréderic Tellier livre une réflexion accablante mais néanmoins nécessaire sur l’échec d’un système capitaliste absurde qui va jusqu’à orchestrer délibérément l’empoisonnement d’une partie de ses citoyens pour survivre. Ne subsiste alors qu’un maigre espoir de rédemption via la persévérance de quelques âmes prêtes à se battre pour tenter de sauver ce qu’il reste d’humanité.

Bande-annonce

9 mars 2022 – De Frédéric Tellier, avec Pierre Niney, Emmanuelle Bercot et Gilles Lellouche.