GUEULES NOIRES
1956, dans le nord de la France. Une bande de mineurs de fond se voit obligée de conduire un professeur faire des prélèvements à mille mètres sous terre. Après un éboulement qui les empêche de remonter, ils découvrent une crypte d’un autre temps, et réveillent sans le savoir quelque chose qui aurait dû rester endormi…
CRITIQUE DU FILM
S’il y a bien un aspect à mettre au crédit du cinéma de Mathieu Turi, c’est sa capacité à aborder sans aucun cynisme les genres auxquels il s’attaque à chacun de ses projets. Depuis Hostile (2018), le réalisateur trace un sillon finalement assez peu représenté au sein du paysage français : celui d’un cinéma purement horrifique, en constant équilibre entre l’hommage et l’exercice de style. Et malgré des défauts d’écriture évidents, les deux premiers longs du cinéaste parvenaient à surprendre grâce à une mise en scène ludique et soignée (surtout en regard de leur budget ridicule). Par bien des aspects, Gueules noires se situe dans la droite lignée des précédents travaux de son jeune réalisateur, pour le meilleur, comme pour le moins bon…
De Zola…
Avant de sombrer dans l’horreur, Turi prend d’abord le temps d’ancrer son sujet dans un contexte tout sauf anodin. Comme son titre le laisse entendre, Gueules noires s’intéresse à une équipe de mineurs travaillant, au milieu des années 50, dans une exploitation de charbon du Nord Pas de Calais. En inscrivant son récit dans ce cadre précis, le réalisateur et scénariste renoue avec un certain folklore français, maintes fois traité dans la littérature et le cinéma hexagonal. La réalité des mines et le difficile quotidien de ceux qui y travaillaient convoque inévitablement le spectre d’Emile Zola.
Le film ne fait d’ailleurs pas l’impasse sur les problématiques sociales inhérentes à l’époque des événements narrés. Le recrutement abusif d’une main d’œuvre étrangère, le racisme latent et les conditions de travail effroyables des mineurs sont autant de thèmes évoqués dans la longue mise en place du récit. Une première heure qui se révèle plus que solide dans sa reconstitution historique, à la fois extrêmement précise et documentée, le tournage ayant pu être effectué en partie dans les décors de Germinal (le film et la série). La superbe photographie d‘Alain Duplantier – déjà à l’œuvre sur Méandre – accentue la matérialité de cet environnement tout en suie et noirceur.
Dans ce formidable décor sujet aux peurs les plus primaires, le scénario trouve son élément perturbateur dans le personnage du professeur Bertier incarné par Jean-Hugues Anglade. Après avoir convaincu un peu trop facilement le patron de l’exploitation (Philippe Torreton), ce dernier entraîne avec lui une équipe de mineurs plus ou moins expérimentés à près de 1 000 mètres sous terre afin de réaliser de mystérieux prélèvements. Le schéma narratif est des plus classiques, la descente aux enfers peut alors commencer.
…à Lovecraft, il n’y a qu’un pas
De la découverte d’une crypte mystique à la confrontation avec une divinité maléfique, sans oublier une mention plus ou moins subtile aux ‘’Grands Anciens’’ : le film assume pleinement de nager en plein cauchemar lovecraftien. L’amour de Mathieu Turi pour l’œuvre du reclus de Providence se ressent à chaque instant. Exporter la mythologie de l’auteur des Montagnes hallucinées dans la réalité des mines françaises s’avère une idée plus qu’audacieuse et finalement pleine de sens sur le papier. Le résultat est pourtant beaucoup moins galvanisant que ce que l’on pouvait espérer de cette promesse.
Le dévoilement de la menace qui rôde dans les profondeurs de la terre a beau avoir lieu après plus d’une heure de long-métrage, il est d’emblée trop soudain, trop frontal. La créature ancestrale est présentée plein cadre au spectateur, annihilant instantanément tout effet de surprise. En un seul plan, le film gâche son énorme potentiel en plus de commettre un contresens total et difficilement pardonnable pour tout admirateur de Lovecraft. Dans ses textes, l’auteur américain usait de paraphrases et de descriptions sibyllines pour décrire les terrifiantes visions auxquelles se confrontaient ses personnages (‘’l’innommable’’).
L’horreur ressentie résultait alors surtout de la force de l’imaginaire du lecteur qui se devait compléter des contours laissés volontairement flous par Lovecraft. Or, Gueules Noires a tellement à cœur de partager le design (très réussi) de sa créature chimérique, qu’il oublie toute notion de gradation dans l’angoisse, sans compter la puissance évocatrice du hors champs. La tension dramatique ne s’en relèvera malheureusement jamais.
Sous terre, personne ne vous entend crier
Dès lors, il est bien difficile de se passionner pour le funeste destin des différents protagonistes. Hormis Amir (Amir El Kacem) dont le film adopte le point de vue, les autres mineurs font surtout office d’archétypes du genre, définis en premier lieu par leurs caractéristiques ethniques, ou physiques. Au-delà, aucun des personnages ne bénéficie d’enjeux qui pourraient créer un quelconque attachement émotionnel. Si bien que les mises à mort, aussi gores et cruelles soient elles, ne provoquent jamais l’effroi recherché tant elles semblent s’abattre sur des cibles toutes plus interchangeables les unes que les autres.
Malgré son casting hétéroclite et une ambition formelle qui reste à saluer, Gueules noires ne peut rivaliser avec les modèles de terreurs claustrophobiques auxquels il aspire (à commencer par l’excellent The Descent de Neil Marshall). À l’image de ses deux premiers longs-métrages, Mathieu Turi enchaine les belles idées de mise en scène, mais celles-ci se retrouvent constamment neutralisées par une écriture bancale, une montée en puissance avortée et des dialogues fleurant bon le nanar. Un acte d’autant plus manqué qu’au moment de son climax, Gueules noires s’aventure dans un imaginaire moins identifié et propices aux expérimentations les plus folles. Une certaine idée de l’horreur cosmique chère à Lovecraft, qui n’a malheureusement pas encore trouvé le moyen de passer la difficile frontière qui sépare l’écrit du grand écran.