HIGH LIFE
Un groupe de criminels condamnés à mort accepte de commuer leur peine et de devenir les cobayes d’une mission spatiale en dehors du système solaire. Une mission hors normes…
Univers beau.
Certaines critiques sont des crève-cœur. Sans rien enlever au pouvoir des mots ni à la douce torpeur de les voir s’envoler chez les autres, il y a des films qu’on aimerait pouvoir garder pour soi, parce qu’ils nous ont compris, ou qu’on les a compris, ou les deux, ou pas vraiment mais c’est pas grave. High Life est de ceux-ci, et quand bien même on fait avec la contrainte d’écrire, la meilleure manière de comprendre ou de ne pas comprendre le film, cela reste d’aller le voir – personne ne vous en voudra, au contraire, de penser ce que vous pensez. Passée cette évidence, le lecteur excusera dans sa grandeur l’auteur pour cette retenue en gare involontaire. Voici donc quelques mensonges élémentaires articulés sur High Life, le nouveau film de Claire Denis.
Robert Pattinson joue comme un Dieu. Les autres aussi, ne vous méprenez pas, de la lumière Juliette Binoche à des secondes rôles complexes parce que n’ayant que peu de mots pour exprimer leur profondeur – bravo à André Benjamin, Mia Goth et Agata Buzek, Swintonienne au possible, pour cela. La musique, base basse ambient et surcouche organique fine, répond en écho au film. Le rythme, une fois qu’on en a accepté la lenteur fataliste, parfait la course au rien du vaisseau numéro 7. Un point parti de la Terre vers on-ne-sait-où, avec on-ne-sait-qui à son bord si ce n’est cet homme dont on ignore s’il agit en fou ou en pragmatique, un nourrisson au bras. Voilà pour la somme technique de High Life : en sera pardonnée l’aspect expéditif, l’intérêt étant clairement ailleurs.
De la honte à la gloire
Comment Claire Denis s’adapte à ce nouveau langage, l’anglais, et à ce nouveau territoire, l’espace ? High Life fait valoir à la fois son sens thématique et filmique, l’humain, et son sens de genre, la science-fiction. Prenant à revers la fâcheuse tendance mi-condescendante, mi-naive que la science-fiction n’est jamais meilleure que lorsqu’elle n’en est pas, la réalisatrice permet aux réfractaires au genre de pouvoir s’accrocher à des émotions terriennes sans aliéner les rêveurs stellaires qui trouveront dans cette toile de fond scintillante le reflet de leurs désirs de lointain. Totalement, pour les plus chanceux qui se savent acquis aux deux visages du film, partiellement au moins pour d’autres, High Life ne semble jamais résolu à laisser complètement ses spectateurs de côté, explorant assez de thèmes et d’idées de mise en scène pour résonner ici ou là chez chacun.
Si s’exprimer sur High Life est un gageure, c’est qu’il repose sur un pari tout simple de Claire Denis : faire voyager l’humanité jusqu’aux confins de l’univers sans se faire happer par le vide. Le vide, c’est tout ce qui est autour du vaisseau, c’est ce qui n’est pas la vie, c’est ce qui n’est pas digne d’intérêt : les seules fois où le film montre le vide, c’est soit pour y faire se perdre des corps devenus témoins du miracle, ou pour mieux en faire ressortir les étoiles, ces preuves que le vide ne l’est jamais totalement. On aurait pu attendre, quelques retours soi-disant écœurés par ci, la filmo en référence de Denis par là, que le film sombre dans la noirceur, la violence, le chaos. Il leur résiste toujours, et c’est précisément en cela qu’il est beau.
Explorant un grand thème moral, sensitif ou intuitif à la fois les défis inhérents à l’être humain, Claire Denis y trouve l’équilibre parfait entre distance et empathie. La violence n’est pas exempte des faits et gestes, elle est même retenue à fleur de peau grâce à une direction d’acteurs remarquable, mais elle n’est jamais glorifiée ou finale. Sous différentes formes, chacune liée à un personnage, elle est combattue. Parfois, elle gagne, certes. Mais souvent, elle perd : pour de mauvaises raisons, pour la vanité, pour la honte ou pour la gloire, mais elle perd. C’est irréfutable. Qu’elle est belle, cette humanité de High Life, prête à renoncer à ses grandiloquences. À accepter qu’elle n’est que de passage. À prendre le pari que la vie a un sens uniquement si elle est un jeu à somme non-nulle.
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