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HIVER À SOKCHO

A Sokcho, petite ville balnéaire de Corée du Sud, Soo-Ha, 23 ans, mène une vie routinière, entre ses visites à sa mère, marchande de poissons, et sa relation avec son petit ami, Jun-oh. L’arrivée d’un Français, Yan Kerrand, dans la petite pension dans laquelle Soo-Ha travaille, réveille en elle des questions sur sa propre identité et sur son père français dont elle ne sait presque rien. Tandis que l’hiver engourdit la ville, Soo-Ha et Yan Kerrand vont s’observer, se jauger, tenter de communiquer avec leurs propres moyens et tisser un lien fragile.

Critique du film

Un des mots qui pourrait résumer le mieux Hiver à Sokcho, premier long-métrage de Kaya Kamura, serait « rencontres ». En effet, c’est tout d’abord celui de deux productions, franco-coréennes, avec la société Offshore de Fabrice Préel-Cleach, et Keystone de Nam Yoonseok. Cette double identité se complexifie encore, que ce soit par le fait que le réalisateur est lui-même japonais, ou que le film est porté par le duo composé par Roschdy Zem, expérimenté acteur français, et Bella Kim, actrice débutante née en Corée du sud, qui a en partie grandi à Sokcho. C’est enfin l’adaptation d’un roman, d’Elisa Shua Dusapin, qui est à l’origine du projet, une dimension littéraire et artistique palpable dans la structure même du scénario qui est truffé de belles originalités. Hiver à Sokcho est donc dès ses prémisses une proposition de cinéma singulière aux identités multiples qui tente de dresser un portrait entre France et Corée.

Cette dualité est symbolisée de manière évidente par le personnage de Sooha. Le choix de l’actrice, excellente Bella Kim, est ici crucial. Il y a un regard particulier porté par le cinéaste sur le corps, comme une manière de souligner la différence de cette femme constamment entre deux eaux. Très mince, grande, et pointée du doigt comme « la Française », Sooha est atypique, surtout dans une petite ville proche de la frontière avec la Corée du nord plongée dans un hiver qui semble ne jamais finir. Les premiers instants présentent une vie simple et organisée, comme un purgatoire pour celle qui a connu une vie étudiante à Seoul d’un tout autre dynamisme. La réserve et le « manque d’ambition » de la jeune femme sont également décrits comme étranges, dans une confrontation aux projets de Junho, amour d’adolescence rêvant de gloire et d’émancipation.

Sooha est à ce titre l’illustration la plus parfaite de Sokcho, une beauté austère qu’elle a choisi d’épouser, à défaut d’autre chose. L’arrivée d’un élément extérieur, un artiste français, la rejette dans le tumulte de son identité, niée par une mère trop protectrice. C’est peut-être à cet endroit précis que se niche la fragilité du film. Les parallèles entre le père absent, reparti en France avant la naissance, et cet inconnu qui fait irruption dans le plan, est une métaphore un peu trop évidente du trou béant qui hante Sooha. La pratique du Français devient un outil pratique pour conserver des dialogues dans une langue que personne ne pratique en ces latitudes orientales.


Formellement le film est beau : il se nourrit, outre d’une photographie magnifique signée par Elodie Tahtane, de petites séquences d’animation qui sont un relais entre la profession de Yan et l’histoire qu’il est venu rechercher si loin de chez lui. Cet auteur français réputé refuse de se dévoiler. S’il partage du temps avec Sooha, c’est en protégeant farouchement son intimité, se refermant brusquement dès qu’il est question de sa famille ou de son histoire personnelle. Son voyage n’est pas un partage mais une captation d’influences, une recherche de moments à « dérober » pour en faire une chronique, un retour d’inspiration jusqu’ici égarée. Les moments où l’on voit le personnage se préparer pour tenter de renouer son fil créatif sont sans doute les seules scènes où il prend corps. Dès que le processus est lancé, il devient une figure spectrale et immatérielle, scrutée à la dérobée par une Sooha devenue voyeuse et spectatrice.

Hiver à Sokcho est réussi quand il s’attache à décrire tout le voyage parcouru par Sooha, une trame qui la conduit vers une acceptation d’elle-même, jusque dans cette part d’inconnu qui la rattache à la France. Grâce à Yan et son court passage, le fantasme est mis à distance et les non-dits sont enfin effacés entre les membres de cette petite famille sud-coréenne. La beauté du film est surtout éclatante dans ces scènes où Sooha fait visiter sa ville au français et dans ces moments de silence où règne une ambiguïté palpable, il jaillit un sentiment d’errance et une mélancolie qui désarçonne, pour s’inscrire à jamais dans les esprits.

Bande-annonce

8 janvier 2025 – De Koya Kamura, avec Bella Kim, Roschdy Zem et Park Mihyeon.