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IL BUCO

Dans les années 1960, l’Italie célèbre sa prosperité en érigeant la plus haute tour du pays. En parallèle, un groupe de jeunes spéléologues décident eux, d’en explorer la grotte la plus profonde. À 700 mètres sous terre, ils passent inaperçus pour les habitants alentours, mais pas pour l’ermite de la région. Ils tissent avec lui des liens d’un genre particulier. Les chroniques d’Il Buco retracent les découvertes et parcours au sein d’un monde inconnu, celui des profondeurs, où se mêlent nature et mystère.

Critique du film

Plus de dix ans après Le quattro volte, le cinéaste calabrais Michelangelo Frammartino signe avec Il Buco un film hypnotique célébrant les autres espaces d’une Italie en plein essor économique. 

Passé l’ouverture en contre-plongée sur le fameux gouffre (le Buco du titre), l’Abisso del Bifurto, sous le regard nonchalant de quelques bœufs, Frammartino illustre les beautés étendues des plaines adjacentes, au son de l’écho d’un paysan calabrais, avant de poser la dialectique de son film. Dès les premières minutes, Frammartino filme des villageois regardant un reportage sur la tour Pirelli, érigée au début des années 1960, haute de 127 mètres de haut. Dans l’ombre de ce gigantesque édifice vertical, Frammartino place son récit au cœur du miracle économique italien de la fin des années 1950, et plus largement dans un monde régi par la course à la hauteur : économique, et dans une plus large mesure culturelle – la période d’Il Buco correspondant par exemple aux prouesses de Youri Gagarine. Dans ce monde concentré sur la verticalité et l’élévation, le regard du cinéaste italien se porte comme Le quattro volte sur les espaces qui échappent à cette quête, poursuivant comme son précédent film l’exploration de la campagne calabraise. Mais pas seulement. À l’inverse de Platon qui incitait à sortir de la caverne, Frammartino invite à y plonger, pour trouver dans l’infra-monde une poésie que son cinéma est à même de révéler.

Comme Le quattro volte qui mettait sur le même plan l’humain, l’animal, le végétal et le minéral, Il Buco est un film de connexion. Il rapproche deux univers en marge de la verticalité des années 1960, car les spéléologues œuvrent sous l’oeil d’un paysan, dont l’écho ouvre le film. Le film, par ses raccords, va faire dialoguer ces deux mondes hors du temps, l’un de profondeur et l’autre d’horizontalité. Sous le cinéma de Frammartino, et dans une forme d’animisme, grotte, spéléologues, aïeux, arbres et animaux forment un grand tout rompu au rythme de la Nature, auquel l’essor économique échappe. La conjugaison se fait également entre les immensités de la caverne et des plaines et le travail laborieux des spéléologues et paysans, mise avec simplicité sur le même plan, avec ce même tempo propice à la contemplation. Il s’instaure de la mise en scène du cinéaste un vrai dialogue, d’autant plus signifiant que le film est quasi exempt de paroles. Le geste de Frammartino a quelque chose de transcendantal, de quasiment magique, dans sa capacité à lier différents éléments non miscibles. 

Il buco

À mesure que l’exploration avance, le gouffre, dans tout ce qu’il révèle d’immense et de tentaculaire, prend des allures lovecraftiennes : le minéral paraît être boyaux, créature naturelle à part entière. Il se dégage de l’exploration une exaltation de l’environnement, une pure émotion intensifiée par le travail prodigieux sur le son, mais surtout sur l’image. La lumière des lampes, des flammes et la présence dans de telles profondeurs des spéléologues et des caméras devient sortilège, autant qu’elle exalte la claustrophobie générée. Outre le traitement de la caverne, la photographie de Renato Berta sublime de ses cadres fixes la trivialité de ce qui est filmé : qu’il s’agisse de quotidien paysan ou scientifique, l’insouciance des animaux, ou le calme des paysages naturels. Récompensé d’un prix spécial du jury lors de la dernière Mostra, Il Buco est une indéniable merveille plastique, dont l’exploration des ténèbres de son abysse se doit d’être découverte plongé dans l’obscurité d’une salle de cinéma.

Ce que cherche à raconter Il Buco tient moins dans ses rebondissements que dans l’émotion et sa proposition philosophique. Profondeur, surface, étroitesse, immensité, vie, mort. Tous ces éléments sont filmés avec le même regard mystique et topographique, propre au cinéma de Frammartino. Une vision cyclique du monde, où le mouvement qui régit le passage du temps et sa répétition – comme l’étaient les saisons et les quatres « temps » de Le quattro volte – régit bien plus le monde que toute autre force.

Bande-annonce

4 mai 2022De Michelangelo Frammartino, avec Paolo CossiJacopo EliaDenise Trombin