INEXORABLE
Marcel Bellmer, écrivain, ne trouve plus l’inspiration depuis son premier roman à succès. Il emménage avec sa femme, l’éditrice Jeanne Drahi, et leur fille, dans l’immense demeure familiale dont ils viennent d’hériter. Mais une étrange jeune fille, Gloria, va s’immiscer dans la vie de la famille et déclencher une série d’événements inexorables…
Critique du film
Deux ans après avoir clôturé sa « trilogie ardennaise » avec Adoration, Fabrice Du Welz revient avec Inexorable, un thriller oppressant qui se veut une nouvelle étape dans la carrière du réalisateur belge. Car si la radicalité de son cinéma a souvent été louée par ses admirateurs, elle a aussi tenu à l’écart une partie des spectateurs. Avec ce nouveau film, Fabrice Du Welz le dit, il veut s’ouvrir à un public plus large, et cela se ressent dans sa mise en scène et sa narration. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il renie son parcours ou abandonne les thématiques qui lui sont chères, bien au contraire.
Dans Inexorable, on suit Benoît Poelvoorde dans le rôle de Marcel Bellmer, un auteur à la recherche d’un succès passé. Avec son épouse et éditrice, Jeanne, interprétée par Mélanie Doutey, ainsi que leur fille, ils viennent d’emménager dans la maison familiale suite au décès de son beau-père. Si en apparence tout va bien, il peine pourtant à trouver sa place et semble se sentir illégitime dans son rôle de chef de famille. C’est dans ce cadre en apparence anecdotique que va surgir Gloria, une mystérieuse jeune fille jouée par Alba Gaïa Bellugi, qui va s’immiscer au sein de cette famille et faire voler en éclat sa quiétude de façade.
On devine déjà derrière ce rapide résumé les racines d’éléments récurrents du cinéma de Fabrice Du Welz : la fragilité du couple, la passion interdite, la folie destructrice… Et comme pour mieux inscrire son nouveau film dans une œuvre plus large, le réalisateur nomme celle par qui le quotidien va basculer, Gloria, comme ce fut le cas dans ses précédents Alleluia et Adoration. On voit donc que malgré ses ambitions nouvelles, Du Welz prolonge avec ses thèmes favoris et ses obsessions. Il prolonge aussi avec certains de ses comédiens. On retrouve ainsi le toujours formidable Jackie Berroyer, 17 ans après son rôle mémorable de Bartel dans Calvaire.
Mais on retrouve surtout Benoît Poelvoorde, qui était déjà du voyage dans le précédent Adoration et qui tient là l’un de ses plus grands rôles. Si l’on connaissait la dimension tragique de l’acteur belge, on l’a rarement vu atteindre une telle intensité. A ses côtés, tous les acteurs sont impressionnants, mais il faut souligner la performance de la jeune Alba Gaïa Bellugi, avec son personnage de Gloria, mélange de douceur, de timidité, et de rage, capable d’exploser à tout moment. Elle est d’autant plus inquiétante que sous son visage d’ange, elle cache une détermination effrayante, et même si l’on ignore au début ses véritables desseins, on comprend qu’elle est prête à tout pour y parvenir.
Avec son histoire relativement classique, le film rappelle de nombreux thrillers tels que Liaison Fatale d’Adrian Lyne (1987) ou La main sur le berceau de Curtis Hanson (1992). On y retrouve ce principe du loup dans la bergerie, en l’occurrence une jeune louve, et une bergerie qui tient plus du château de carte. Mais le film de Du Welz parvient à se démarquer par une approche plus subtile, plus retorse, et par sa capacité à faire croître une tension de plus en plus prégnante jusqu’à devenir étouffante. Il impressionne par sa maîtrise globale, qu’il s’agisse de la narration, de la direction d’acteur ou bien de sa dimension technique.
Car Inexorable se distingue aussi par son ambiance et celle-ci est d’abord visuelle. C’est l’une des marques de fabrique du réalisateur, son identité presque, avec cette attention portée à l’image, aux couleurs, et un style rapidement identifiable. Tourné en 16mm, comme plusieurs de ses films précédents, le film semble se nourrir de ce grain, cette matière qui fourmille à l’image. Avec ses partenaires habituels, Manuel Dacosse à la photographie et Emmanuel de Meulemeester à la Déco, ses deux “Manu” comme il les appelle, Fabrice Du Welz exploite parfaitement l’espace et la lumière du décor principal, un château et un domaine de la région wallonne.
Comme le suggère le titre, Inexorable porte en lui l’idée que l’on est toujours rattrapé par son passé, et que nos erreurs, nos fautes, ne peuvent être enfouies à jamais. Le poids des secrets et des non-dits est le moteur de l’obsession qui mène au drame et à la tragédie. Dès le début, Fabrice Du Welz ne cherche pas à cacher l’ambiguïté de Gloria, et l’on devine finalement assez vite l’origine du mal, mais plus qu’une faiblesse, cela lui permet de construire son récit autour du trouble, et de le nourrir de ce mélange de sensualité et de tension. Après Adoration, avec lequel le film entretient une réelle filiation autour de la fatalité, Fabrice Du Welz nous offre ici un thriller viscéral qui remue encore le spectateur longtemps après la projection. Un grand film, qui en plus d’être le plus abouti de son metteur en scène, est aussi le plus accessible.
Bande-annonce
6 avril 2022 – De Fabrice Du Welz, avec Benoît Poelvoorde, Alba Gaïa Bellugi, Mélanie Doutey
Présenté à l’Etrange festival 2021
