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JOKER : FOLIE À DEUX

A quelques jours de son procès pour les crimes commis sous les traits du Joker, Arthur Fleck rencontre le grand amour et se trouve entraîné dans une folie à deux.

Critique du film

Cinq ans après le premier Joker, Todd Phillips livre une suite se déroulant dans la foulée des événements amenant à l’arrestation de l’ennemi public numéro un de l’univers de DC Comics. Le cinéaste poursuit dans la lignée de sa proposition anti-spectaculaire qui prend à rebrousse poil tout ce que l’on pouvait imaginer d’un film issu d’un univers de super-héros, pour concocter un film à la lisière du film de procès, de la comédie musicale, et du thriller psychologique. Joker : Folie à deux se présente avant tout comme un huis-clos. Le personnage, joué par un Joaquin Phoenix plus ascétique que jamais, passe la quasi intégralité de l’histoire emmuré à l’asile d’Arkham, haut-lieu de la détention de criminels de Gotham City, où il est raillé et maltraité par des matons plus brutaux et méprisants les uns que les autres. Cette unité de lieu, à quelques scènes au tribunal près, est à l’image du traitement de tout le film, resserré autour de quelques motifs, comme si tout se passait dans l’esprit du personnage-titre.

On retrouve l’un des grands questionnements du premier volet, à savoir la responsabilité d’Arthur Fleck/Joker, et tout une rhétorique de la manipulation qui va s’incarner dans un nouveau visage, celui d’Harley Quinzel, incarné par Lady Gaga. Le discours de Phillips est à ce titre assez flou et il est bien difficile après plus de deux heures de film de savoir véritablement quel point de vue est soutenu par son auteur. Cette confusion est développée et maintenue par cette irruption d’un amour dans la vie du personnage, écrit comme une ancre dans sa vie, une raison de vivre et un déclencheur de scènes. C’est parce qu’il la rencontre au hasard d’un couloir, une facilité d’écriture déjà étrange, qu’il croit à son personnage, son mythe, et qu’il se rêve en chevalier noir (sic) du peuple avec un message anti-système destructeur pour la population. Cette thématique du double, classique dans le mythos du super-héros et ses alter-egos à profusion, est battue en brèche pour définir qui est véritablement cet homme.

Joker folie à deux

A l’exception d’un court dialogue de quelques secondes, jamais le film ne tente de convaincre que Joker existe bel et bien, et on peut même penser raisonnablement que toute l’action d’Harley pour le faire sortir de ses gonds pousse vers la théorie de la folie, conclusion d’une déresponsabilisation de Fleck qui ne serait que le jouet des circonstances, manipulé tout d’abord par la société, puis par celle qui a décidé de se trouver sur son chemin pour l’utiliser dans un dessein bien précis. Toute cette structure est d’autant plus fragile qu’on peut même douter de l’existence d’Harley qui, à l’instar de nombreuses séquences musicales fantasmées et décalées, pourrait bien n’être que l’expression d’un esprit malade ayant succombé à des années de mauvais traitements déclenchant une psychose meurtrière sous couvert d’un alias nommé Joker.

Le personnage d’Harley s’évanouit de façon aussi troublante qu’il était apparu, laissant l’intrigue à un point mort qu’il n’a jamais vraiment quitté, le film ne donnant aucune réponse, dans un surplace qui n’est même pas troublé par une explosion dont on ne sait pas trop pourquoi elle intervient tant le statu-quo figé du début du film est comme éternel au profit d’un charabia psychologisant qui a abandonné en chemin toute autre ambition. Nous sommes ici bien loin d’un personnage pourtant si bien développé par 80 années de comic-books, que ce soit sous la plume d’Alan Moore, Frank Miller ou Greg Rucka, où l’origine du personnage importait moins que son incarnation d’un mal absolu et presque immortel qui donnait sa raison d’être à Batman et ses névroses.

S’il est louable de vouloir proposer une histoire du Joker qui existerait par elle-même sans faire participer tout le bestiaire de DC Comics, et en premier lieu Batman, gageons qu’une vision mieux écrite et plus courageuse dans l’expression de ses idées serait la bienvenue pour redorer un label qui a décidément toutes les peines du monde à livrer des films à la fois distrayants et profonds intellectuellement.

Bande-annonce

2 octobre 2024 – De Todd Phillips, avec Joaquin PhoenixLady GagaZazie Beetz


Mostra de Venise 2024