JULIE (EN 12 CHAPITRES)
Critique du film
Julie (en 12 chapitres) signe le retour du cinéaste norvégien Joachim Trier à Cannes, six ans après sa dernière incursion en Compétition avec Back Home. Alors que son dernier long-métrage, Thelma, optait pour un virage vers l’horreur contemplative et symbolique, sans perdre de vue le portrait d’une jeunesse désemparée, le réalisateur conclut son officieuse « trilogie d’Oslo » amorcée avec Nouvelle donne et Oslo, 31 août, dans une étincelante fresque romantique.
Porté par un trio de comédiens éblouissants – Renate Reinsve, pour son premier rôle principal, Anders Danielsen Lie et Herbert Nordrum – le film déroule, en 12 temps, un portrait moderne et mélancolique de jeune femme, abordant avec finesse et humour l’affirmation d’un soi, les injonctions à vivre sa vie « dans le bon rythme », pour trancher in fine le genre de vie que l’on souhaite mener.
LES AMOURS D’UNE BRUNE
Julie aime Aksel, ou tout du moins aime leur relation, et dans le même temps se demande ce qu’elle aime. Ses amis sont quarantenaires, ont des enfants, et Aksel en veut. Elle, ne sait pas encore ce qu’elle veut. Mais le temps file. Et puis un soir, elle rencontre Eivind. Ils flirtent, comme dans une bulle, se rapprochent sans que rien ne concrétise. Une simple parenthèse hors du temps, hors du carcan de la relation, une simple et pure nuit d’attirance mutuelle. Et au petit matin, des au-revoirs. Dès les deux premiers chapitres, Les Autres et Infidélité, Joachim Trier entend mettre en œuvre toute la complexité des sentiments en jeu dans Julie (en 12 chapitres). Loin de la comédie romantique traditionnelle, le film cultive un humour grinçant et un franc-parler sur certains sujets délaissés par ledit genre.
On sent en la matière, la potentielle influence de Fleabag sur le ton du film, et notamment dans sa manière d’articuler des relations profondément allégoriques – Aksel et Einvid sont moins des personnages réalistes que des personnifications d’une relation stable pour l’un et plus impétueuse pour l’autre – autour de certaines thématiques, comme le sexisme ou une sexualité plus inclusive. Quant à la singularité de Julie (en 12 chapitres), il apparait nettement qu’elle se trouve d’abord dans son rythme. Car outre la division annoncée en chapitres hétérogènes, Trier signe un film « de décalage ».
En décalage
Un film sur le décalage, générationnel ou philosophique, et la dissonance avec les injonctions sociales en vigueur pour une jeune femme. Julie observe, écoute, se cherche, questionne et remet en cause sa place non seulement dans ses couples, dans également dans le sens de sa propre vie. Julie (en 12 chapitres) est aussi un film en décalage dans ce qu’il propose en termes de comédie romantique. On pense à la balisée « scène de tromperie », poncif du genre, ici complètement torpillée pour donner lieu à un tendre moment de complicité, une forme primitive d’amour naissant, avec ce que cela suppose de projections de ce qui peut nous manquer. On pense également, sans toutefois trop en dévoiler, au choix de proposer un épilogue, mais très bref, visant une conclusion tournée vers l’épure.
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Le film est avant tout un récit d’émancipation, où le temps et les injonctions à « trouver sa voie » sont les deux forces face auxquelles Julie doit lutter. Un combat qui demande réflexion, qui demande du temps, engendrant sa propre souffrance, et celles d’autrui, faisant avec ironie de la jeune femme la « worst person in the world », comme l’indique le titre anglais du film. C’est avec complexité et paradoxes inhérents aux relations amoureuses que Trier met en scène les sentiments de Julia, Aksel et Einvid, en abordant dans la quête de bonheur de la jeune femme, le déchirement de la rupture, un amour de Schrödinger – où l’on s’aime profondément mais l’on ne peut rester ensemble – autant que la lente érosion d’une relation fondée sur l’antipode d’un amour précédent.
À l’écriture subtile d’Eskil Vogt et Joachim Trier s’ajoute la réalisation de ce dernier. Les affres mélancoliques de Julie sont portées à l’écran dans une mise en scène rayonnante, dans un somptueux écrin en pellicule, ponctuée d’une radieuse bande-son. En outre, le cinéaste norvégien ponctue son film deux moments « suspendus ». Le premier, littéralement, certes classique dans la comédie romantique mais diablement efficace, et l’autre lors d’une saisissante scène hallucinatoire, esthétiquement très inspirée, comme un rappel de ce qu’avait dans le ventre Thelma, son précédent. Et si l’on peut reprocher aux films quelques ficelles d’écritures un peu convenues, et quelques instants matraquant plus maladroitement certaines de ses thématiques, il résulte néanmoins de ce Julie (en 12 chapitres) une exploration humble et moderne des sentiments d’une jeune femme en quête de son soi. Un voyage duquel on ressort euphorique et exalté.
Bande-annonce
12 octobre 2021 – De Joachim Trier, avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie