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JULIE KEEPS QUIET

Vedette d’une académie d’élite de tennis, la vie de Julie gravite autour de ce sport qu’elle adore. Quand son entraîneur fait l’objet d’une enquête puis est rapidement suspendu de ses fonctions, tous les joueurs du club sont encouragés à témoigner. Mais Julie décide de se taire…

Critique du film

Le titre du film est une véritable note d’intention. Julie keeps quiet, littéralement « Julie se tait ». Tout prend son sens à l’écoute de la présentation faite par son réalisateur, Leonardo Van Dijl, lors de la première projection du film en avant-première mondiale à la Semaine de la Critique. La parole de Julie se fait et se fera attendre, mais elle finira par se faire entendre. Il le concède volontiers : en écrivant cette histoire, le cinéaste a réalisé que nous étions tous des Julie à notre manière, avec nos propres silences, incapables de dévoiler certaines choses que l’on préfère taire. Pour se protéger, résister, ou pour ne pas avoir à affronter une réalité potentiellement beaucoup trop chaotique.

Dans le cas de son personnage principal, Julie, il est question d’une troublante histoire d’enquête, initiée par un club de tennis après le suicide de l’une des joueuses phares de l’académie. Jérémy, l’entraîneur qui suivait la jeune Alice, est mis de côté le temps de l’investigation. Par la même occasion, et alors qu’elle préparait un tournoi important, Julie se retrouve sans son coach individuel avec qui beaucoup la savaient étroitement liée. La gérante du club l’annonce à ses licenciés : des entretiens de parole auront lieu afin de leur permettre de faire la lumière sur ce qui aurait pu se passer et de leur proposer un espace de dialogue, dans l’optique de prendre les dispositions nécessaires pour qu’à l’avenir tou.te.s puissent bénéficier de conditions saines de pratique du tennis. Mais, alors que son formateur est suspendu, Julie se montre assez réticente et souhaite éviter une telle entrevue. Cherche-t-elle à le protéger ? Ou se protège-t-elle de quelque chose ?

Taiseuse, elle n’est pas du genre à se dévoiler et semble livrer un combat intérieur. Toujours investie dans son sport et déterminée à atteindre son meilleur niveau, elle se retrouve désormais affectée à un autre référent, que Jérémy ne manque pas de discréditer lorsqu’il a Julie au téléphone, à l’abri des oreilles curieuses. Il en fait de même avec le père de Julie, qui selon lui déconcentrerait sa protégée lors des tournois. Déjà, leur proximité et cette attitude dépréciative interrogent : il est difficile de ne pas trouver problématique le fait que l’entraîneur suspendu décrie les deux figures masculines adultes de son existence.

Julie keeps quiet

D’abord maintenu hors-champ pendant le premier tiers du film, l’entraineur rencontre finalement Julie pour un rendez-vous qu’elle a visiblement initié. Ils se retrouvent dans un bar peu fréquenté et apparemment à l’écart de la ville. Peut-être a-t-elle besoin de le confronter, d’avoir sa version des faits – même si ce dernier lui avait affirmé ne pas savoir ce qu’on lui reprochait lors de leur discussion au téléphone – et exprime aussi son besoin de comprendre le geste d’Aline. Le coach botte en touche, prétexte une fragilité psychologique et le fait qu’Alice avait atteint un palier technique qu’elle se savait incapable de dépasser. Quand, soudain, il a un geste furtif mais lourd de significations : on le voit prendre la main de Julie, qui retire la sienne presque immédiatement. Spontanément, l’entraîneur se justifie à plusieurs reprises, anxieux : « Quand tu m’as demandé d’arrêter, j’ai arrêté« .

Cette scène, assez brève, et ces quelques mots suffisent à glacer le sang. Ce sera la seule apparition de Jérémy. Leonardo Van Dijl, a contrario de Charlène Favier dans Slalom, n’en dévoilera pas davantage. Mais cela suffit pour laisser le spectateur s’imaginer le pire des scénarios. Il ne fait alors plus aucun doute que l’entraîneur a franchi une ligne rouge, peut-être à plusieurs reprises, et abusé de son pouvoir sur sa jeune joueuse, qualifiée par tou.te.s comme très prometteuse.

Dès lors, la narration se poursuit autour de la préparation sportive de Julie et de la vie du groupe, forcément perturbée par les remaniements au sein du club et par cette enquête qui maintient un certain niveau d’anxiété chez les jeunes lycéens, des entraînements aux moments de détente qu’ils partagent. Julie continue de se taire, même si on sent que sa loyauté s’étiole progressivement alors qu’elle tisse une relation plus saine avec son nouvel entraîneur, Backie. Elle commence même à renouer avec les autres, ses camarades comme ses parents, avec lesquels elle semblait avoir maintenu une certaine distance depuis plusieurs mois.

En épousant le point de vue de l’adolescente, le film nourrit un véritable questionnement, autant sur les mécanismes de libération de la parole et de l’emprise, que sur les mesures de sensibilisation existants dans nos sociétés. Le choix des auteurs d’opter pour une économie de détails et d’artifices (à l’exception de la composition subtile de Caroline Shaw) s’avère payant. La réalisation sobre, le récit pudique, toujours à bonne distance, et le grain de pellicule rendent les non-dits plus authentiques, et plus pesants. Lorsque la parole se libère enfin, dans les toutes dernières minutes, Van Dijl reste fidèle à ses choix et n’a pas besoin d’en révéler davantage pour faire surgir l’émotion et soulager enfin son héroïne, nous renvoyant à nos propres réflexions, le coeur plus lourd que celui de Julie, désormais allégé de son écrasant secret.


De Leonardo Van Dijlavec Tessa Van den BroeckKoen De BouwClaire Bodson


Cannes 2024Semaine de la Critique




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