JURÉ N°2
Alors qu’un homme se retrouve juré d’un procès pour meurtre, il découvre qu’il est à l’origine de cet acte criminel. Il se retrouve face à un dilemme moral entre se protéger ou se livrer.
Critique du film
Présenté comme l’ultime long-métrage de Clint Eastwood, Juré n°2 apparaît comme une fausse anomalie dans la lignée récemment présentée par le cinéaste. Après une multitude d’oeuvres interrogeant la pertinence des administrations face à des actes héroïques, qu’ils soient commis par un pilote d’avion aguerri ou un agent de sécurité naïf, le réalisateur d’Impitoyable signe une antithèse redoutable : l’idéal incarné par un système, malmené par les individus qui la composent.
Comme son titre peut le laisser présager, il sera question de la justice dans Juré n°2. Elle est figurée dans le carton-titre du film par la déesse grecque qui la représente : Thémis. On voit cette divinité allégorique tenir, les yeux bandés, une balance ainsi qu’un glaive. Le plan suivant ce carton expose la problématique du film : on découvre la femme du protagoniste principal, les yeux bandés et guidée par la voix d’un mari coupable d’un crime accidentel… Que se passe-t-il lorsque ce pouvoir symbolique à la lourde responsabilité se présente à un être humain ? C’est ce nœud qui va rendre le visionnage de Juré N°2 particulièrement haletant. Toujours dans une verve humaniste, Eastwood se montre profondément impitoyable dans sa charge dénonciatrice et signe un thriller soigné critiquant la manière dont on peut facilement s’accommoder avec une justice expéditive pour notre propre intérêt.
Cette problématique est cristallisée autour de Justin (Nicholas Hoult), un personnage que l’on pourrait situer à mille lieues du protagoniste Eastwoodien. Bien qu’il soit un individu faisant face à des situations extraordinaires, à l’instar de Richard Jewell ou du capitaine Sully, il en est pourtant celui qui en a provoqué la cause : convoqué pour être juré à un procès, il se rend compte petit à petit qu’il est accidentellement le responsable de la mort de la victime. Laissant ainsi une personne innocente de ce crime, le petit-ami de la victime, sur le banc des accusés. Doit-il se dénoncer immédiatement auprès de la justice pour le sauver ou se taire pour se protéger et ne pas détruire la vie idéale qu’il s’apprête à bâtir avec sa femme ? Ce dilemme moral qui lui est imposé sert de prémisse à une véritable étude des failles de la justice, que va servir malicieusement Eastwood.
Réduite à un niveau ordinaire, loin de la justice sauvage souhaitée par le père malfrat joué par Sean Penn dans Mystic River, l’idéal incarné par la justice devient une entité perçue comme une contrainte par celles et ceux qui y font face. Par son administration, tout d’abord, qui expédie rapidement ses affaires. Lors d’une démonstration orale faite par un juré fleuriste anciennement policier (incarné par J.K Simmons), une expertise médicale peut-elle être prise au sérieux lorsqu’elle est faite dans une accumulation d’autopsie expédiée en une seule et même journée ? Suffisamment de temps a-t-il été consacré à la recherche d’un autre suspect ?
L’avalanche récente de films-à-procès nous pousse à cette interrogation, mais c’est dans sa version perverse de 12 Hommes en Colère qu’Eastwood va appuyer là où ça fait mal. Nicholas Hoult impressionne en antithèse veule du personnage joué par Henry Fonda chez Lumet. Il est une force manipulatrice, tout en intériorité, qui va faire perdre petit à petit toute dimension morale à son juré ; une fois qu’il a compris que sa première démarche à tendance auto-flagellatrice (celle de provoquer un non-lieu pour éviter d’envoyer un innocent en prison) est vaine, tout va être utilisé pour se sortir de là. Y compris les préjugés et lâchetés d’un jury ; habité par la consommation de true-crime, la peur de la récidive ou juste la volonté de retrouver ses enfants à la fin de la journée, comme si délibérer du sort d’un accusé n’était qu’une simple journée de travail (analogie faite par la juge du procès).
Dans ce tableau peu flatteur de la justice américaine, il y a pourtant l’un des plus beaux personnages des œuvres d’Eastwood : Faith Killbrew, incarnée par Toni Collette, la véritable boussole morale du récit. Contrairement au anti-héros principal, qui s’engouffre dans la compromission éthique à mesure qu’il souhaite sauver l’idéal américain qu’il va bâtir, cette procureure habitée par la force louable de ses convictions politiques devra nourrir son sens aigu de la justice vers la vérité. Cette héroïne ordinaire risque probablement d’être le dernier avatar d’un cinéaste précieux pour sa grande sagesse.
À l’heure où des cinéastes comme Coppola restent sur leurs acquis pour échapper au réel et refuser d’observer le monde (à défaut), Eastwood s’avère être l’un des cinéastes les plus passionnants par la sagesse qu’il incarne. Ne cherchant guère à épater quiconque, il utilise le récit cinématographique pour constamment réfléchir à ce qu’il pense. Là où Sully rendait hommage à l’acte héroïque du pilote en faisant fi des éléments factuels servant de vérité, il n’hésite pas à proposer une contradiction passionnante en montrant maintenant que la vérité est nécessaire pour faire preuve d’une justice clémente. Dans un champ/contrechamp silencieux désarmant, le cinéaste est clair dans sa fausse ambiguïté : le public pourrait trouver des excuses à Justin, être triste de savoir ce qu’il risque, pourtant la justice incarnée par Faith est inévitable et doit être rendue de la manière la plus juste possible. Peut-être la conclusion déchirante à une filmographie, qui n’a jamais cessé de se regarder en face à mesure que l’Histoire de son pays s’écrivait.