KIMI
Angela Childs examine les flux de données du serveur à commande vocale KIMI. En pleine pandémie, bien que les restrictions aient été assouplies, elle souffre d’agoraphobie et suit une routine stricte, flirtant – entre autres – avec son voisin et communiquant avec sa mère, son dentiste et son thérapeute par chat vidéo, en sécurité dans son appartement de Seattle. Mais tout bascule quand elle entend quelque chose de terrifiant dans l’un des flux, et que le signalement d’un crime par mail est jugé trop risqué. Angela ne s’est pas aventurée à l’extérieur depuis le début de la pandémie, alors le simple fait d’aller au bureau est un énorme défi pour elle. Déterminée à faire ce qu’il faut, elle n’a aucune idée de la suite des événements et si elle va pouvoir combattre sa phobie.
Critique du film
L’un des points caractérisant le cinéma de Steven Soderbergh est qu’il l’imagine comme un flux : des fils invisibles qui tissent des liens relationnels, économiques voire biologiques pour raconter l’état du monde contemporain. Avec cette idée en tête, difficile de ne pas voir l’évidente raison pour laquelle Soderbergh a réalisé un film sur le contexte du COVID. En traitant uniquement le virus tel un contexte cinématographique, il signe avec Kimi l’un des films les plus en phase avec la décennie chaotique que nous vivons.
Succédant à No Sudden Move, exercice fascinant qui partait vers le film-noir, Soderbergh puise ici ses influences dans le cinéma paranoïaque. Illustré musicalement par les compositions de Cliff Martinez, délaissant ses musiques ambiantes électroniques pour des partitions plus classieuses qui ramènent à Bernard Herrmann, ce thriller hitchcockien côtoie avec brio la paranoïa technologique. Il imagine la traque d’une employée agoraphobe (jouée par Zoé Kravitz, actuellement à l’affiche de The Batman), par l’entreprise technologique qui l’emploie, suite à la découverte glaçante d’un meurtre à travers une enceinte connectée Kimi – dans une scène hallucinante qui transpose à l’ère du numérique le Blow Out de Brian De Palma.
Sur ce postulat, Soderbergh évite les écueils des films produits durant la crise du coronavirus. Si certaines séquences de télétravail imposent le registre tant éculé du ScreenLife (dispositif où la mise-en-scène s’effectue à travers des interfaces d’écrans), le réalisateur de Sexe, Mensonges et Vidéos montre encore une fois qu’il est un expert de l’adaptation. Ses choix de réalisateur évoluent en même temps que l’héroïne dans sa réappropriation de l’espace et de sa vie. D’une routine parfois contraignante (l’agoraphobie d’Angela la bloquant sur plusieurs relations), le cadre quasiment fixe de la mise en scène s’envole vers d’innombrables mouvements, des secousses même, à mesure que l’héroïne affronte le monde extérieur et ses menaces. Cette impressionnante séquence de tentative d’enlèvement en témoigne, Soderbergh jouant sur les espaces et le monde qui les entourent en entrechoquant des criminels corporatistes, notre héroïne et une foule de manifestants.
Derrière un ton éminemment contemporain, Soderbergh signe un thriller palpitant qui évolue vers une générosité sans égale, allant même jusqu’à provoquer la jubilation en incluant un morceau culte des Beastie Boys en plein climax. Passionnant dans sa démarche, incluant nos craintes contemporaines à un divertissement de haute qualité, Kimi rappelle le privilège d’avoir un cinéaste aussi vivant que Soderbergh dans le champ du cinéma américain.
Bande-annonce
10 mars 2022 (en VOD) – De Steven Soderbergh, avec Zoë Kravitz