KISAPMATA
Dadong, policier à la retraite, apprend que sa fille unique, Mila, est enceinte et va se marier. Face à l’insistance du jeune couple, le père autoritaire accepte le mariage, à condition que son futur gendre paie une dot ridiculement chère. Commence alors une série de demandes de la part de Dadong, qui entend exercer sa domination de patriarche à tout prix…
Critique du film
Réalisateur né à Manille en 1947, Mike De Leon est connu en France plus pour sa réputation et sa fonction de producteur auprès de Lino Brocka, autre grande figure du cinéma philippin que pour ses films que finalement peu de gens ont vu chez nous. Un manque que devrait venir combler une sortie de deux de ses œuvres – ainsi que la parution d’un coffret Blu-Rays de 8 films, une première mondiale – dont cette quatrième réalisation du metteur-en scène : Kisapmata, sorti en 1981 et présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 1982. Mike De Leon a grandi dans le monde du cinéma : son père était le producteur Manuel De Leon et sa grand-mère, Narcisca De Leon a fondé LVN Pictures, studio philippin de grande renommée. Avant de se lancer dans une carrière cinématographique, dont il craignait entre autres qu’elle ne phagocyte sa vie privée, Mike De Leon avait envisagé une autre voie artistique, plus noble à ses yeux, comme la peinture ou la musique.
Quatrième long-métrage du réalisateur, Kisapmata déroule une histoire qui prend son origine dans un fait divers relaté par un ami de Mike De Leon, Nick Joaquin, dans un livre The House on Zapote street. Il s’agit de l’histoire d’une cellule familiale où règnent les relations le plus troubles. Dadong, ancien policier, exerce une autorité patriarcale toxique et entretient vis-à-vis de sa fille unique une emprise et une relation qui confinent à l’inceste. Lorsqu’il apprend que sa fille, déjà âgée de vingt-cinq ans va se marier avec un collègue de bureau et qu’elle est enceinte de deux mois, son univers semble basculer. Car cet homme, interprété par Vic Silayan, qui livre une prestation saisissante, remarquable et inquiétante, souhaite tout contrôler, en particulier sa femme, particulièrement soumise et sa fille. Toute la perversité de ce personnage masculin va alors se traduire par des manœuvres destinées à mettre à mal l’équilibre du jeune couple que forment sa fille et son futur gendre, Noel. Et ce père trouvera une complice idéale en la personne de son épouse, prête à se livrer à des subterfuges ou manipulations pour soutenir ses funestes desseins.
Grâce à une utilisation de la technique – utilisation des plongées et contre-plongées -, à une narration presque clinique d’un dérèglement émotionnel et familial qui va mener à la tragédie, Mike De Leon installe une atmosphère vénéneuse qui distille un profond malaise. On a ici une critique violente du patriarcat et, à travers celle-ci, une allusion également au pouvoir en place à l’époque, celui de Ferdinand Marcos. Le film eut d’ailleurs maille à partir avec la censure. Des scènes de rêves, dont l’inquiétante étrangeté se trouve accentuée par la musique ou la mise en scène viennent ponctuer le récit divisé en chapitres. La représentation de la famille dans ce film s’avère particulièrement étouffante, la jeune fille ne semblant pas avoir d‘autres contacts que ceux de sa vie professionnelle et ses parents.
Critique de la dictature, mais aussi dénonciation du fascisme domestique, encore plus insidieux et larvé, Kispamata, film inédit en France et enrichi par une restauration 4K, sera visible dans les salles françaises dès le 29 mars, grâce à une distribution Carlotta, en même temps qu’un autre film de Mike De Leon, son cinquième : Batch’81.