KNEECAP
Biopic sur un groupe de rap irlandais appelé Kneecap. Le trio de Belfast devient la figure de proue improbable d’un mouvement de défense des droits civiques visant à sauver leur langue maternelle.
Critique du film
Peut-il exister médiatiquement une alternative à la représentation visuelle de l’Histoire de l’Irlande ? Dans un contexte cinématographique, peut-il exister autre chose, de plus populaire, que les expérimentations formalistes (mais non moins pertinentes) de Steve McQueen et Paul Greengrass pour évoquer la répression britannique violente face au peuple irlandais ? Les premières secondes de Kneecap soulèvent cette question par l’intermédiaire narquois d’un des protagonistes du film ayant conscience des images violentes de l’Histoire de son pays. Choisi pour représenter l’Irlande à l’Oscar du Meilleur Film Étranger, Kneecap va alors être l’opportunité de montrer autre chose.
Au final, la tonalité de Kneecap rappelle celle de la série Derry Girls de Lisa McGee, dans laquelle nous suivons le quotidien délirant d’une bande de filles dans l’Irlande du Nord des années 90, un ton où se mêlent légèreté et gravité, que l’on retrouve dans ce biopic fantasmé. Car Kneecap est un biopic, celui d’un jeune groupe de rap extrêmement populaire dans son pays. Un tel exercice sur un groupe aussi récent peut alors sembler prématuré : qu’il y aura-t-il à raconter d’autre que leurs débuts dans les bars avec un public restreint jusqu’à leur avènement lors d’un gros concert ? La bande a décidé de procéder différemment en intégrant une compilation de leurs morceaux les plus populaires au sein d’un récit éminemment politique et bon enfant rendant hommage à la langue gaélique, comme si la comédie sociale à la Full Monty se frottait au rap bien furieux. Et cela marche prodigieusement.
L’atmosphère générale du film est installée lors d’une scène de course-poursuite. Le personnage de Mo, voyant un enfant embarqué dans un défilé en faveur de l’Angleterre, s’empare d’un bâton du groupe avant d’être poursuivi au son assourdissant de Smack My Bitch Up. Cette scène de provocation bon enfant semble représenter la détermination du groupe à se faire entendre. Les scènes de rap s’enchaînent, entremêlées d’un contexte social que n’aurait probablement pas renié un cinéaste comme Ken Loach. La dimension humoristique du film atteint cependant ses limites avec les trop nombreuses blagues sexuelles et ou plaisanteries sur les drogues, qui paraissent bien ternes face à la folie euphorisante des scènes de musique et des portraits de vies si attachants que le long métrage dessine (mention spéciale au récit autour du mixeur masqué DJ Próvaí, prof de musique désabusé qui va reprendre vie au contact des deux jeunes apprentis rappeurs)
L’énergie euphorisante que le groupe amène (chacun des membres jouant son propre rôle, de manière romancée), par ses textes et un montage très dynamique, permet de transmettre un message fort sur la préservation d’une culture courant le risque d’être effacée. Au même titre que la dimension populaire du rap offre l’opportunité au groupe de préserver son héritage politique (celui-ci étant un point familial dramatique du récit) par le langage gaélique, la forme dynamique du film sensibilise joyeusement un public plus large à ce versant historique. Enfin, saluons la portée plus universelle et actuelle de son récit, où plane l’ombre d’une politique violente répressive, comme en témoigne un plan de coupe soudain sur le drapeau palestinien au son discret d’une apparition de Fontaines D.C (autre groupe émergeant d’Irlande). Une pure réussite dans ce qu’il élabore : un divertissement qui rappelle à quel point les arts populaires peuvent facilement faire vibrer une conscience politique progressive chez son public.