L’EPOUVANTAIL
Carte blanche est notre rendez-vous pour tous les cinéphiles du web. À nouveau, Le Bleu du Miroir accueille un(e) invité(e) qui se penche sur un grand classique du cinéma, reconnu ou méconnu. Pour cette trente-septième occurrence, nous avons tendu la plume à Mélina D’Amico, cinéphile enthousiaste plus connue de certain.e.s sous le pseudonyme de Bitsey Bloom. Elle profite de l’occasion pour ressortir un film des greniers cinéphiles, L’épouvantail de Jerry Schatzberg, et nous raconte le souvenir personnel de sa découverte.
Carte Blanche à… Mélina D.
Après m’avoir gentiment offert l’opportunité de participer à Carte Blanche, je me suis penchée sur la question et un film m’est immédiatement apparu comme étant le choix idéal. Il fait partie de ces films qui, tristement, errent dans les greniers de la cinéphilie. Un film qui a pourtant eu la Palme d’or en 1973 au Festival de Cannes et qui nous offre la deuxième collaboration consécutive (deux ans après Panique à Needle Park) entre le réalisateur et célèbre photographe Jerry Schatzberg et Al Pacino. Il s’agit bien évidemment de L’épouvantail.
Je me souviens encore du moment où je l’avais découvert. À la fois touchée et secouée, je réalisais que j’avais devant moi un diamant brut du Nouvel Hollywood. Au delà de son portrait touchant des loosers magnifiques, le film est bercée d’une lumière douce et de couleurs chaudes et réconfortantes grâce au talentueux Vilmos Zsigmond. Celebre directeur de la photographie de Voyage au bout de l’enfer, La Porte du paradis ou encore de Blow Out. Est-ce donc un film mésestimé ou méconnu? Les deux, probablement. J’ai donc décidé d’aborder quelques éléments qui constituent en partie les raisons de l’amour que je lui porte et ce, principalement à travers ses personnages et plus spécifiquement l’un d’entre eux qui n’a jamais cessé de me bouleverser au fil des années.
L’histoire de Max (Gene Hackman) et Francis Lionel, surnommée « Lion »(Al Pacino) débutent lors de leur rencontre au bord d’une route déserte où ils tentent péniblement de faire du stop afin de pouvoir continuer leur périple respectif. Ce n’est que le début du film mais on peut s’apercevoir tout de suite que l’un est aux antipodes de l’autre. Noyé sous ses nombreuses couches de vêtements, Max est un grand gaillard acariâtre et solitaire. Il finira par se laisser séduire par la bonhomie de Lion qui n’hésitera pas une seconde à lui offrir son aide et son écoute. Au fil de leur expédition, des rencontres ou encore de retrouvailles plus intimes, ils garderont l’espoir de monter ensemble un car wash. Prétexte ou réelle ambition? Rien n’est moins sure. Toutefois, ce projet deviendra en quelque sorte le symbole de leur amitié et confiance l’un envers l’autre.
Force de Lion
Le personnage d’Al Pacino est le véritable cœur du film par son histoire mais aussi par sa quête. Cette dernière prendra la forme d’une petite boite entourée d’un ruban rouge qu’il portera sous son bras tout au long du film. Lion conserve en lui une force considérable grâce à une sorte de précepte qu’il se répète inlassablement : « le rire est une arme redoutable face à toutes les situations délicates« . Cette naïveté et cette innocence apparente cachent en réalité une blessure profonde. L’abandon d’une famille dont on ne connaîtra pas les détails mais surtout les regrets d’une vie. Celle d’un homme qu’il aurait pu être. La performance d’Al Pacino est éblouissante. A la fois complexe et nuancée par sa vulnérabilité désarmante, il nous surprend par ses choix concernant la physicalité du personnages. Cette gestuelle clownesque qu’utilise Lion presque désespérément afin de cacher ses blessures. Cette fin particulièrement amère est comme un rappel à l’ordre. Un trop plein de réalité qui nous foudroie en plein visage et surtout en plein cœur.
Schatzberg nous offre film profondément humain sur la confiance, l’intimité, la bienveillance mais aussi et surtout l’amitié et ses limites.
Mélina D.
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