L’ÉTAT DU TEXAS CONTRE MELISSA
Melissa Lucio est la première femme hispano-américaine condamnée à mort au Texas.Accusée d’avoir tué sa fille de deux ans, cette mère pauvre et droguée, coche toutes les cases de la coupable idéale. Pourtant, son histoire qui regorge de zones d’ombres, va se révéler bien plus complexe qu’elle n’y paraît…
Critique du film
Sabrina Van Tassel, dont c’est ici le second long métrage documentaire, réalisait un reportage aux Etats-Unis sur les femmes dans le couloir de la mort. Au départ peu intéressée par le cas de Melissa dont elle pensait que les actes qui lui étaient reprochés étaient impardonnables, elle a fini par comprendre que les choses n’étaient pas si simples. Au fur et à mesure de ses échanges avec Melissa et en enquêtant sur le passé, la réalisatrice a compris qu’il s’agissait d’une erreur judiciaire voire d’une vraie manipulation.
Accusée d’avoir tué sa fille de deux ans, cette mère de 14 enfants attend son exécution depuis 2008. Elle a reconnu les faits, mais après un interrogatoire de plus de sept heures, se terminant au-delà de 3 heures du matin, sans avoir eu droit au moindre verre d’eau, à de la nourriture ou à aller aux toilettes. Sept heures de questions sans relâche assénées par des policiers qui se relaient, se montrent agressifs, grossiers et la poussent dans ses retranchements alors qu’elle vient de vivre le drame de la perte d’un de ses enfants.
Au terme d’un procès bâclé, durant lequel toutes les chances d’être correctement défendue ont été ôtées à Melissa Lucio, la sentence tombe : la peine de mort. Pour la punir de son prétendu crime, mais aussi pour lui faire payer son refus de plaider coupable qui lui aurait permis d’obtenir une peine « plus clémente » de trente années de prison.
Coupable idéale
Melissa Lucio remplit plusieurs conditions pour être la coupable idéale aux yeux d’une certaine justice. Outre le constat de la médecin légiste – qui s’avère très certainement erroné ou incomplet, comme le démontre un expert durant le documentaire -, Melissa est pauvre, a parfois recours à la cocaïne, vit dans la misère, et c’est une femme hispanique. On est près de la frontière mexicaine et le procureur veut assurer sa réélection et s’attirer les bonnes grâces des électeurs qui veulent une justice inflexible, impitoyable. Et Melissa deviendra donc la première femme hispanique condamnée à mort au Texas.
À la conduite cynique et calculatrice du procureur viennent s’ajouter les errements d’un avocat incapable de défendre réellement sa cliente, ou plutôt la sacrifiant à sa carrière. Aucune chance n’a été donnée à Melissa Lucio de bénéficier de témoignages en sa faveur. Alors que tous ses enfants ont été auditionnés avant le procès et ont tous déclaré que leur mère était non violente et toujours d’une grande gentillesse, d’un grand calme – ce que corroborent d’autres personnes – aucun d’entre eux n’a été cité comme témoin au tribunal. Cet amour qu’elle avait pour ses enfants leur a offert à elle et à sa famille des moments de répit, de bonheur qui lui faisait oublier les errements d’une vie cabossée, marquée par des abus sexuels subis dans son enfance.
Avec beaucoup de sensibilité et de justesse, Sabrina Van Tassel nous fait découvrir cette histoire d’une femme condamnée d’avance, parce que n’ayant pas d’argent et parce que d’origine hispanique. La mère de Melissa, certaines de ses sœurs et de ses enfants témoignent de cette tragédie. Mais on verra aussi le premier avocat de Melissa, qui semble assez embarrassé par certaines questions qui mettent en lumière les graves dysfonctionnements juridiques de cette affaire.
Avec L’Etat du Texas contre Melissa, Sabrina Van Tassel signe un documentaire réellement poignant et effrayant dans son constat et son dénouement – tout au moins provisoirement puisque l’affaire n’est pas complètement terminée – qui met en cause un système judiciaire défaillant, voire corrompu, et constitue un document à charge contre la peine de mort. Tout cela avec rigueur et sobriété, honnêteté de traitement et de belles qualités formelles, tant dans la mise en scène que dans la bande son signée Christophe de la Pinta et interprétée en partie par le guitariste argentin Dominic Miller.
Bande-annonce
15 septembre 2021 – De Sabrina Van Tassel