L’ÉTOFFE DES HÉROS
L’histoire de spationautes, aventuriers et intrépides, dont le destin fut intimement lié à celui d’une des plus extraordinaires aventures qu’ait connu l’humanité : la conquête spatiale.
Critique du film
Le mur du son. C’est sur ce mythe que commence L’étoffe des Héros. Ou plutôt sur le franchissement de celui-ci, son dépassement. Dès les premières séquences c’est tout un programme qui se détaille : des hommes qui tentent de repousser les limites de l’impossible, ce à plusieurs échelles. La première est donc celle de l’exploit : un homme incarne particulièrement ce début d’intrigue. Chuck Yeager, un nom presque anonyme, loin de tous ceux qui ont fait leur époque.
Et pourtant, il est sans doute le pionnier le plus important de cette immédiate après Deuxième guerre mondiale. Toute sa génération a participé activement au conflit, il était pilote pour l’aviation étasunienne, il devient presque un simple fonctionnaire. Yeager est un fil rouge dans le film, on revient souvent vers lui, tel le porte parole de l’homme moyen, qu’il n’est pourtant pas du tout. Il fut l’être humain le plus rapide du monde cinq années durant, mettant sa vie en danger comme on pointe le matin pour aller travailler. Sam Shepard est une merveille dans ce rôle qui est pourtant si éloigné de lui.
Du son à l’espace, du cow-boy au cosmonaute
A rebours de Yeager et ses camarades pilotes stationnés dans l’aridité de la Californie, on retrouve vite le barnum médiatique de la conquête spatiale, les enjeux politiques colossaux des années 1950. De records inconnus du grand public, de la pureté du geste, on passe à une entreprise qui s’inscrit dans la période de la Guerre froide : il faut réussir avant le géant soviétique. Et il faut beaucoup communiquer sur ce projet de la course vers les étoiles.
Les candidats doivent avoir eu une éducation supérieure, et également bien présenter à la télévision. John Glenn joué par Ed Harris en est en quelque sorte la meilleure illustration. Il a fait le tour des émissions télévisées, il est beau, marié et un bon chrétien. Le regard porté sur ces sept nouveaux hommes qui constituèrent la fameuse mission Mercury, rappelle que derrière le faste et le clinquant nous avons toujours à faire à des personnes singulières qui jouent leur vie pour une certaine idée de l’aventure. Philip Kaufman, réalisateur de très bons films indépendants comme Les seigneurs (1979) ou le deuxième version de l’Invasion des profanateurs de sépultures (1978), ressemble beaucoup quelque part à ses personnages.
Un portrait de la masculinité qui n’oublie pas les femmes
Kaufman est ce qu’on appelle un « maverick », un esprit indépendant qui a toujours eu des difficultés à se conformer au moule des grands studios américains. Et cette singularité infuse tout le film. Si son film reprend les bases narratives du roman éponyme de Tom Wolfe (paru en 1979), il est sublimé par le regard du metteur en scène, qui fait d’un agrégat de scènes espacées dans le temps , un tissu narratif dense et sensible. Un des tours de force de Kaufman est de ne pas résumer cette histoire à une histoire d’hommes au sens de l’identité de genre. C’est un écueil particulièrement difficile à surmonter, tant ces projets sont andro-centrés en Occident. Il n’y a pas d’équivalent à Valentina Terechkova, cosmonaute soviétique seule dans l’espace en 1963, dans le programme américain. Mais cela ne veut pas dire que les femmes sont absentes du film ou qu’elles ne seraient confinés qu’à un rôle de silhouette sans dialogues.
Une œuvre fondamentalement politique
La longueur du film, plus de trois heures, permet de se concentrer sur tous ces détails, ces non-dits de la grande Histoire. Avoir voulu raconter les premiers moments, le récit s’interrompt avant les grandes victoires des missions Apollo et les premiers alunissages, permet d’échapper aux clichés et donne de la profondeur au film. Ce moment charnière est aussi celui où se matérialise une vision du monde, antagoniste, où l’espace devient le dernier enjeu de société. C’est ce qui le rend aussi aussi politique au sens noble du terme, comment vivons nous la Cité. Ce « nouveau monde » est contenu dans les mains de ceux qui ont fait le siècle.
Grâce à certains personnages à l’arrière plan, qu’on ne nomme jamais mais qu’on signale pourtant finement dans le champ, on voit bien que la place des anciens savants nazis est prépondérante dans ces nouveaux projets fondateurs de la société de demain. Que ce soit le chef de projet soviétique, ou Werner von Braun, le père de la conquête spatiale américaine, c’est bien sur les cendres de la Deuxième guerre mondiale et de la Shoah que va émerger le projet Mercury et au delà toutes les tentatives de se tourner vers l’espace.
Au delà des ces moments très techniques, qui ont une patine presque documentaire par instant, il faut saluer la beauté et la poésie du film lorsqu’il s’attache à regarder ses personnages. Là encore, on pense tout de suite à Sam Sheppard, cow-boy sans peur, sauvage et romantique, photographié chapeau sur la tête dans le paysage semi-désertique d’une Californie séduisante et sans âge. Le romantisme désuet presque post-adolescent de ces héros, livrés en pâture à un monde qui n’avait pas encore arrêté de rêver, fait de L’étoffe des héros un moment inoubliable de cinéma, toujours une référence près de quarante ans après sa sortie.
Disponible sur Ciné+ et MyCanal