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L’EVÉNEMENT

France, 1963. Anne, étudiante prometteuse, tombe enceinte. Elle décide d’avorter, prête à tout pour disposer de son corps et de son avenir. Elle s’engage seule dans une course contre la montre, bravant la loi. Les examens approchent, son ventre s’arrondit. 

Critique du film

Intelligent dans son adaptation, astucieux dans sa reconstitution historique, L’Événement est une réussite totale. Le film donne la sensation rarissime que, de la production au jeu, en passant par la technique, tou.te.s les intervenant.e.s ont œuvré à sa création en tirant dans la même direction. Le mérite en revient d’abord à sa réalisatrice, Audrey Diwan, qui a su faire partager sa vision du livre d’Annie Ernaux*. Il émane du film une cohésion impulsée en premier lieu par l’alliance de la réalisatrice avec son actrice. Anamaria Vartolomei, à la fois traquée et soutenue par la caméra, est exceptionnelle de présence, de détermination, et d’énergie émancipatrice. Parcours d’une combattante contre son époque, L’Événement possède l’âpreté du chemin de croix et l’ardeur de la trajectoire de libération.

Dignité et frontalité

En 1999, dans une salle d’attente d’un laboratoire d’analyse médicale où elle est venue faire un test VIH, Annie Ernaux se revoit, des années plus tôt, dans un autre cabinet médical. Elle décide qu’il est temps d’exhumer cette histoire vécue à 20 ans. 1999 est aussi l’année de naissance d’Anamaria Vartolomei. Une coïncidence comme un lien invisible qui renforçait, dès le casting, le film de l’intérieur. Il a fallu 36 ans à l’autrice des Années pour mettre des mots sur cette expérience. 22 ans plus tard, Audrey Diwan met des images sur ces mots, trouvant la subtile alchimie entre dignité et frontalité. 

La réalisatrice puise dans la grammaire dardennienne cette façon de ne pas lâcher son héroïne. Filmée de 3/4 dos, Anne apparaît par le simple traitement de la mise en scène, comme une petite sœur de Rosetta, guerrière du quotidien, en quête entêtée d’allié.e.s. Vitalité et volonté jaillissent de ces scènes où le mouvement est d’abord physique. Le corps est à l’ouvrage. Cadencé par le nombre de semaines de grossesse, le récit prend l’allure d’un compte à rebours tout en tissant les fils des raisons qui poussent Anne à vouloir avorter à tout prix, ou, plus précisément, comme le dit Ernaux, à vouloir se soustraire à « une maladie qui ne frappent que les femmes et qui les transforment en femme au foyer ». Les études supérieures que poursuit Anne ne vont pas de soi dans sa famille. Les scènes avec sa mère (magnifique Sandrine Bonnaire) indiquent parfaitement le fossé qui les sépare déjà. La culture n’est pas au centre d’une vie de labeur à faire tourner un bar restaurant. 

L'événement

Pestiférée

L’autre grande idée de mise en scène, qui contribue à faire du parcours d’Anne une traversée en solitaire, c’est la manière avec laquelle les jeux de focales l’isolent dans le cadre. En compagnie de ses copines de cité U, le point est fait alternativement sur l’une ou les autres mais jamais ensemble. Les semaines avançant, Anne se contraint à la fois à taire son état et dissimuler son corps. Nous sommes dans les années 60, les jeunes gens dansent et flirtent au rythme des sons rock mais il n’y a guère de différence entre une femme enceinte et une pestiférée. C’est le grand mérite du film de nous restituer cette réalité en l’habillant sans la déguiser aux couleurs sixties. La reconstitution historique est beaucoup plus une évocation qu’un musée, choix dont la pertinence permettra aux jeunes générations de mieux accéder au parcours d’Anne, qui pourrait être leur grand-mère. 

Repoussée, et même bernée par le corps médical, trahie par la pleutrerie du père biologique de l’enfant, Anne se voit également lâchée par ses copines, soit jalouses, soit moralement choquées. Désir et fantasmes sont au cœur de leurs conversations de jeunes filles dans une société qui s’emploie encore (mais n’a t-elle jamais cessé de le faire ?) à corseter tout passage à l’acte. Rappelons que la loi Veil, relative à la dépénalisation de l’avortement, sera promulguée 12 ans plus tard, en 1975.

L'événement

Leçon de courage

Isolée de toute part, Anne est affligée et acculée. Ce que personne ne veut prendre en charge, elle va s’en occuper seule, dérobant une paire d’aiguilles à tricoter chez ses parents. Le point de vue adopté par Audrey Diwan, dans les deux scènes clés du film, celle-ci puis celle avec la faiseuse d’ange (Anna Mouglalis, parfaite, glaçante et rassurante) est toujours juste. Son regard ne dénature pas l’écriture crue d’Annie Ernaux, il ne porte pas atteinte non plus à la dignité de sa comédienne. Seule une confiance absolue entre Anamaria Vartolomei et Audrey Diwan pouvait permettre au film de fréquenter sans trivialité des zones aussi intimes. On notera aussi le beau travail d’adaptation qui ont conduit les scénaristes (Audrey Diwan et Marcia Romano) à réécrire la dernière scène capitale. Lorsque la seconde sonde produit finalement son efficacité, Anne est à la fois submergée par la douleur, pétrifiée de stupéfaction et envahie par un sentiment de soulagement. C’est une violence de dernier recours qui est filmée, celle dont on n’est pas sûr de revenir. C’est immense et pourtant la scène du livre est encore plus sauvage mais la filmer telle quelle aurait fait peser sur le film entier le risque du grotesque. 

Admirable de justesse, L’Événement stupéfie par sa calme puissance à représenter une guerre. Une guerre sans autre ennemi que l’époque, le conservatisme et la morale, avec pour seule arme le courage d’une femme. Le film fait aussi œuvre de mémoire en rendant un magnifique hommage à toutes les femmes qui ont bravé les interdits, au péril de leurs vies, pour conquérir un droit fondamental. 

Bande-annonce

24 novembre 2021D’Audrey Diwan, avec Anamaria VartolomeiKacey Mottet KleinLuàna Bajrami