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L’HOMME QUI PENCHE

Thierry Metz (1956-1997) poète et manœuvre est un des plus grands écrivains de sa génération. Il modèle ses expériences par l’écriture et transforme chaque étape de vie en matériau poétique. Il donne une âme au chantier, aux paysages du Lot-et-Garonne, à la maison dans laquelle il vit. Le film retrace l’intensité tragique d’une vie entièrement consacrée à la création et propose un dialogue entre la poésie et le cinéma.

Critique du film

En marge de l’actualité bruissante du cinéma, des sorties flamboyantes et des réceptions cuisantes, L’Homme qui penche arrive sur nos écrans sur la pointe des pieds, du fait d’un circuit de distribution fatalement confidentiel. Ni documentaire, ni fiction, c’est un biop(oet)ic et une chambre d’écho, qui s’ouvre sur un havre et se referme dans un piège. Ponctué de brefs repères biographiques, le film, à l’image de la vie du poète, voyage de la lumière à l’ombre, du labeur à la douleur.

Il fallait aux cinéastes trouver un régime d’images qui permette l’écoute des vers lus en voix off. Dans ce cadre visuel, le souffle de la poésie advient, sans étouffer. Évocations de lieux, d’ambiance, les prises de vue ont ceci de remarquables qu’elles tissent un récit tout en laissant une grande disponibilité d’écoute.

Les textes sont tirés de sept recueils de l’auteur, de Sur la table inventée à L’Homme qui penche en passant par Le Journal d’un manœuvre. Thierry Metz a nommé comme personne le chantier, le travail harassant, le tunnel de la journée. Autodidacte, il a été manœuvre, maçon, ouvrier agricole dans le Lot-et-Garonne où il s’installe jeune avec sa famille bientôt composée de trois enfants. On voudrait tout recopier des textes lus mais on ne peut, et l’immense mérite du film est évidemment de donner le goût de lire ou relire cet immense écrivain.

« Sortir un instant de ces besognes qui n’écoutent pas ce que nous sommes. » La langue de Thierry Metz se glisse entre contemplation et scrutation pour dire les états du vivant. « C’est samedi, les mains ne font rien. On entend les gosses qui jouent sur le sable et les voitures qui passent… Dans la maison les chaises bavardent. » Simplicité d’un quotidien pénétré par le verbe. Des mots ordinaires qui ornent le minuscule d’une fruste noblesse.

L'Homme qui penche

Au détour d’un vers, le spectateur est soudain ébloui par une fleur de tournesol en très gros plan. Une joie macroscopique, presque une brûlure. Le 20 mai 1988, à la mort accidentelle de son fils Vincent, alors âgé de 8 ans, la vie du poète bascule.

« Tu es l’aile que l’ange envie dans sa ténèbres. »
« Rien que l’instant et son vide, son incohérence. »

La poésie de Thierry Metz s’assombrit alors que le couple éclate et que l’alcool absorbe le chagrin. Le film épouse cette trajectoire comme on dévale du haut d’un ravin. Le bonheur dilapidé transparaît dans le sillage d’une silhouette inaccessible qu’un sous-bois avale. Ce sont enfin les figures éteintes du Centre Hospitalier de Cadillac que filment Brincard et Dury, ce lieu même où Thierry Metz se donne la mort, le 16 avril 1997, à 40 ans.

« Je n’arrive plus à te rejoindre, je n’écrirai plus. »

L’Homme qui penche réussit l’étonnant pari d’un cinéma de révélation. Un film humble et bouleversant au sortir duquel la librairie ou la bibliothèque la plus proche du cinéma exerce sur le spectateur une irrésistible attraction. Un film qui apprivoise aussi le silence et l’ombre. Un film de résistance au hachis et à la syncope dont l’époque est friande. Metz comme une rémission.

Bande-annonce

8 décembre 2021 – De Marie-Violaine Brincard et Olivier Dury