L’INFIRMIÈRE
Ichiko est infirmière à domicile. Elle travaille au sein d’une famille qui la considère depuis toujours comme un membre à part entière. Mais lorsque la cadette de la famille disparaît, Ichiko se trouve suspectée de complicité d’enlèvement. En retraçant la chaîne des événements, un trouble grandit : est-elle coupable ? Qui est-elle vraiment ?
Critique du film
Sept ans déjà que Koji Fukada nous avait subjugué par son Au revoir l’été, déclinaison à mi-chemin entre les contes des quatre saisons d’Eric Rohmer et du Stand by me de Rob Reiner. Cette petite merveille estivale promettait beaucoup de ce jeune auteur aux ambitions d’emblée très élevées. A 40 ans, il enchaîne les films et, à l’instar d’un Hong Sangsoo, ce sont plusieurs projets qui vont se succéder en salles obscures dans les prochains mois.
Le premier se nomme L’infirmière, avec Mariko Tsutsui dans le rôle titre, trois ans après Harmonium, le précédent film de Fukada. Le malaise et le questionnement moral sont au centre de la structure même du récit, et du dispositif de mise en scène très précis qui se déroule au sein d’une narration en deux temps. Loin des tous les résumés qu’on peut trouver sur l’histoire, Koji Fukada multiplie les pistes et les faux-semblants pour remettre en question toutes nos certitudes.
L’infirmière est tout d’abord l’histoire d’une citoyenne moyenne, arrivée à la moitié de sa vie rien ne la distingue d’une autre. Employée d’une structure d’assistance à domicile médicalisée, elle est bien insérée dans la famille où elle travaille. Elle alterne vie professionnelle et vie privée comme n’importe quelle japonaise « classique ». Le point de rupture provient par l’irruption d’un aléa dramatique inattendu : son neveu kidnappe une des filles de la famille où elle travaille. Sa seule faute est de les avoir présenté, et d’avoir laissé sous silence leur lien de parenté une fois le crime perpétré.
Très vite le film devient un labyrinthe entre cette culpabilité, dont on devine l’aboutissement, et la vengeance recherchée une fois l’affaire retombée. Dans la première partie Ichiko subit la pression sociale qui se referme autour d’elle, victime expiatoire d’un fait divers. Dans la seconde, elle se fait manipulatrice, change d’apparence, et recherche à venger sa vie détruite.
Au delà de cet axe en deux temps, Fukada fait grandir le malaise dans son histoire, tout d’abord en introduisant les effets pervers et implacables de la rumeur. Phénomène bien connu et documenté, il peut broyer aussi bien un innocent qu’un coupable, comme l’a très bien filmé Clint Eastwood avec Le cas Richard Jewell. Avec ce type de mécanisme la vérité s’éloigne toujours plus à mesure que le récit se développe. Seules demeurent la paranoïa et la soif de sensationnalisme. Les interrogations se déploient donc, quelle est la responsabilité d’Ichiko ? Et quel est le rôle de Motoko la sœur aînée de la disparue ? L’auteur cultive un certain vertige chez le spectateur par le biais de toutes ces questions qu’il entretient par la nature même de sa mise en scène. L’enchâssement des problématiques sociologiques et personnelles créent un objet fascinant qui ne se livre pas facilement.
Une autre déconstruction intéressante du film est celle qui concerne les relations amoureuses et le couple traditionnel. L’objet de l’amour dans L’infirmière semble n’être fait que de déceptions et de contradictions. En effet, le couple que forme Ichiko et Totsuka semble voué à l’anéantissement dès que la vindicte populaire s’acharne contre elle. Même si celui-ci donne des gages de fidélité en projetant leur futur mariage, les signes de la fin de leur histoire sont partout. La tornade qui s’abat sur elle ne laisse pas de prisonniers, seulement des morts.
Ensuite vient le problème Motoko. Son couple demeure fictif, inconnu. Les deux protagonistes ne sont jamais montré ensemble, et tout prête à croire qu’il n’est qu’une couverture. Vient enfin le couple que forment en pointillé Ichiko et Motoko, sans doute la clef pour comprendre toute cette histoire, même si là encore la vérité semble vacillante telle une flamme qui menace de s’éteindre à chaque instant. Jalousie et manipulation sont là encore les maîtres mots qui amènent à comprendre le coté très marqué vengeance de la seconde partie du film.
La capacité de Koji Fukada à cimenter chacune de ces composantes, et à faire tenir l’ensemble pendant tout le film est un tour de force. Le malaise grandit, la raison se perd, mais l’histoire demeure passionnante de bout en bout. Le réalisateur ne porte pas de regard moral sur ses personnages et c’est une force : cela permet de garder le trouble existant jusqu’au dénouement. Après cette brillante démonstration, l’impatience nous gagne de découvrir quels seront les prochains coup d’éclat d’un metteur en scène qui s’affirme film après film comme l’un des nouveaux noms majeurs du cinéma d’Asie et bien au delà.
Bande-annonce
5 août 2020 – De Koji Fukada, avec Mariko Tsutsui, Mikako Ichikawa et Sosuke Ikematsu.