L’OURS ET LA POUPÉE
Par accident de voiture, Gaspard rencontre Felicia. Il est père célibataire, elle est célèbre, et seule. Elle entreprend de le séduire et ne recule devant rien, pas même devant l’hermétisme de Gaspard…
Connaissez-vous la fable de l’Ours et de la Poupée ?
Un Ours violoncelliste, répondant au nom de Jean-Pierre Cassel, croise sur son chemin un modèle classique de Barbie faussement blonde, produite à la télévision par le biais d’une émission quelconque. La Poupée, rose et blanche, Brigitte Bardot grimée en Brigitte Bardot, jette son dévolu sur cet Ours solitaire qui habite avec ses enfants espiègles dans une maison en forme de tour de guet. Feignant tout un tas de choses, la dangereuse Poupée semble assez vite se révéler comme étant nymphomane, puisqu’il n’existe pour elle d’autre équivalent au descriptif de Don Juan pour l’homme. C’est une poursuite inversée de la séduction, comme une parodie du fameux schéma haine/amour relativement répandu dans l’histoire du cinéma. Culture du viol ? Ne changeons pas de sujet.
L’Ours, Jean-Pierre Cassel, coupant du bois dans son jardin, observe du coin de l’œil la Cigale, pardon, la Poupée, qui alors ne songe plus du tout à travailler pour se consacrer toute entière à sa mission de conquête sentimentale, faisant porter au harcèlement le masque délicat de la séduction. Il est néanmoins réjouissant de voir que, pour une fois, ce n’est pas la Poupée qui est chassée mais l’Ours.
Michel Deville joue évidemment de cet enfermement de Bardot dans cette galerie de rôles identiques d’Eve tentatrice. La Poupée demeure fatale, mais ici elle mène le jeu. Humiliée qu’elle est, comme elle le hurle, par l’insensibilité de l’Ours qui lui demande, de l’air le plus naturel du monde, si toute sa personnalité tient dans quelques boîtes de maquillage, c’est comme si elle se retrouvait nez à museau avec tous les ours croisés auparavant dans d’autres rôles, derrière d’autres masques. “Je choisis mes films, dit un jour Bardot, par coup de cœur ou coup de tête”, avouant très honnêtement, comme à son habitude, s’être trompée d’organe plus d’une fois.
Parfois ours dans le film, la Poupée redevient, sous la plume de Deville, un être sauvage et indépendant. Qui est l’Ours, qui est la Poupée ? Cette fable sensible et d’apparence légère d’un réalisateur animé par la fantaisie présente dans les rapports humains est saupoudrée d’incohérences charmantes, de mystère et d’absurde, ce qui nous mène à sa morale : au genre qui nous fut assigné vient souvent se mêler son opposé.