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LA BEAUTE DU GESTE

En 1906, Auguste Rodin découvre les danseuses cambodgiennes lors d’une représentation du Ballet royal à Paris. Bouleversé par cette expérience et par leur gestuelle, il produit en quelques jours une œuvre magistrale de 150 aquarelles. Depuis cette date, jusqu’à la création d’un nouveau spectacle pour une tournée en France et en Suisse un siècle plus tard, le Ballet royal cambodgien survit aux épreuves de l’Histoire et nous transporte, entre Orient et Occident, dans un univers de splendeur et de mystère.

Critique du film

En combinant témoignages et images d’archives, le film retrace l’histoire du Ballet royal du Cambodge. Un siècle de splendeur, de ténèbres et de renaissance. Sérieux et documenté, le film peine, dans sa forme, à dépasser le cadre du bon document thématique produit pour le petit écran.

Du financement à la diffusion, système aberrant

Récit chronologique, entretiens face caméra, images d’archives : tout est parfaitement conforme aux documentaires appliqués et instructifs que la télévision dite de qualité, diffuse pour un public avide de se cultiver devant son (plus ou moins) petit écran. Sur grand écran, le film ne perd pas ses qualités mais pose néanmoins la question de l’aiguillage de ce type de production. La Beauté du geste n’est qu’un cas parmi d’autres, beaucoup d’autres, dans un système qui nous paraît à tous égards, aberrant. Bien souvent, c’est la source de financement qui détermine le cadre de diffusion. Jugée plus prestigieuse, la salle de cinéma, déjà engorgée de toute part, s’avère avare d’espace pour les films documentaires, à l’exception du sort réservé aux grands cinéastes du genre. Tout le monde est perdant dans cette économie dévoyée. En dehors de quelques festivals, le film devra attendre une diffusion télé pour atteindre son public, les distributeurs s’arrachant les cheveux pour convaincre quelques salles de les programmer et la critique se trouvant fort dépourvue. Nous nous trouvons moins confrontés à un problème de qualité qu’à une question de cohérence, voire de paradoxe si l’on songe que le cinéma produit, et valorise mal, ces documents à la chaîne pendant que les plateformes (dont les conditions de visionnage s’apparentent, au mieux, à celles du petit écran) produisent Scorsese, Campion ou Fincher.

Ceci posé, intéressons nous au Ballet royal du Cambodge, inscrit en 2008 au patrimoine immatériel de L’UNESCO.

Apsara, Apsara

Si la danse classique Khmère est devenue le fleuron de la culture cambodgienne dans le monde, elle a connu des hauts et des bas à l’image de l’Histoire de son pays et des soubresauts politiques qui ont jalonné le 20e siècle. Témoin de luxe, la princesse Bapha Devi raconte son propre parcours. Jeune 1ère étoile avant la dictature des khmères rouges, la fille du roi Norodom Sihanouk prend les rênes de la compagnie à son retour d’exil et en restaure le prestige. Le présent du tournage n’est pas daté mais certains indices (dont le décès de la Princesse en 2019) permettent de comprendre que la tournée européenne que le Ballet se prépare à honorer a eu lieu en 2018.

LA BEAUTE DU GESTE

Danse très codifiée, appelée aussi danse Apsara depuis que la princesse a célébré les noces de la nymphe d’Angkor avec le Ballet, elle comporte quatre personnages et cinq gestes principaux autour desquels se déploient les chorégraphies. C’est un opérateur Lumière, Gabriel Veyre, qui le premier enregistra la beauté du geste pour le cinéma. Suivront Marcel Camus (L’Oiseau de paradis, 1962) et Norodom Sihanouk himself (Apsara, 1966). Mais c’est sans doute Auguste Rodin qui œuvra le plus à populariser cet art, lui qui découvrit le Ballet à Paris en 1906, le suivit pendant 6 jours, le temps de produire 150 dessins, prélude à de futures sculptures.

L’installation, qui voit des danseuses contemporaines se fondre dans les dessins du maître, est la meilleure idée de mise en scène du film, assez peu exploitée comme le documentaire survole à peu près tout ce qu’il entreprend. Y compris l’évocation de la période khmère et les témoignages pourtant sidérants d’anciennes danseuses étoiles plongées comme des millions de cambodgien dans l’enfer du manque et de la peur. L’initiative de Mme Van Savay qui créa une école de danse au sein d’un camp de réfugiés porte l’art bien au-delà des reconnaissances de l’UNESCO, à un point d’incandescent que le film, encore une fois, ne fait qu’effleurer, faute de choisir.

Bande-annonce

13 mars 2024 – De Xavier de Lauzanne