LA CÉRÉMONIE
Sophie, bonne analphabète et secrète mais dévouée, est engagée au service d’une famille bourgeoise de Saint-Malo. Son amitié avec la postière, curieuse et envieuse, va déclencher une série de drames. Claude Chabrol peint avec noirceur le milieu bourgeois provincial.
Critique du film
Dès les premières minutes du film, on sent un double malaise. La scène se passe dans un café. Catherine Lelièvre (Jacqueline Bisset) a rendez-vous avec sa future domestique, Sophie (Sandrine Bonnaire). Catherine Lelièvre demande à son employée si elle a soif et, lorsque cette dernière décline la proposition, lui commande tout de même un thé sans s’inquiéter de savoir si Sophie apprécie ce breuvage. Premier trouble : sous son apparence policée, la bourgeoise ne semble pas apprécier qu’on lui dise non. De son côté, Sophie répond souvent de façon évasive ou sèche et son regard paraît souvent perdu dans le vide. Madame Lelièvre dissimule dans un gant de velours une poigne de fer, et peut-être d’autres secrets moins avouables à en croire certains. Quant à sa bienveillance, celle-ci n’est peut-être que de façade. Sophie, elle, semble se murer dans une réserve presque agressive. Son secret qu’elle estime inavouable l’étouffe, l’emprisonne dans des situations de plus en plus compliquées. La pression s’amplifie et la rencontre avec Jeanne, la postière (Isabelle Huppert), intrusive et insolente ne va pas tarder à constituer un cocktail explosif, destructeur.
Lors de la réception donnée pour l’anniversaire la jeune fille de la famille Lelièvre, Mélinda (Virginie Ledoyen), un invité cite Nietzsche : « Il y a chez vos gens de bien beaucoup de choses qui me répugnent et non certes le mal qui est en eux ». C’est finalement l’apparence de respectabilité et de bienveillance des Lelièvre qui finit par être écœurante, car elle masque à peine leur condescendance et leur manque d’humanité envers Sophie. Monsieur Lelièvre (Jean-Pierre Cassel) et son beau-fils (Valentin Merlet) paraissent les plus durs avec Sophie, mais le vernis qui recouvre la bienveillance féminine de Catherine et Mélinda peut vite s’écailler quand la domestique refuse de travailler le dimanche.
Folie à deux
Inspiré d’un roman de Ruth Rendell, mais faisant également beaucoup penser à l’Affaire Papin (Un fait divers qui défraya la chronique en 1933), La Cérémonie doit beaucoup à l’adaptation et aux dialogues concoctés par Claude Chabrol et Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, psychanalyste et essayiste. Grâce à leur connaissance de l’âme humaine, Caroline Eliacheff et Claude Chabrol livraient en 1995 un très grand film noir dans la meilleur acception du terme : drame humain, social et touchant à l’indicible.
Il est question de violence sociale, de folie à deux, de secret et de répétition du mal. Par petites touches – des regards, des dialogues précis, une façon de poser une caméra – le délitement, les tensions et le basculement dans l’irréversible sont annoncés. Jusqu’au dénouement précédé d’un trajet nocturne en 2 CV durant lequel Sophie et Jeanne se racontent leur passé, scène accompagnée de la musique inquiétante de Matthieu Chabrol qui évoque un voyage au bout de la psyché et de ses pulsions inavouables.
Sans jamais porter de jugement, mais en constatant froidement, en donnant à voir, Claude Chabrol fait œuvre de témoin du monde implacable qui est le nôtre et d’une humanité qui peut basculer dans l’innommable. Chabrol offrait un film coup de poing la même année qu’un autre grand film sur la violence et la folie : L’Appât de Bertrand Tavernier. L’interprétation, exceptionnelle, d’Isabelle Huppert et de Sandrine Bonnaire leur permit de remporter collégialement la coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise de 1995.
CHAQUE JOUR, DANS LES SÉANCES BUISSONNIÈRES, UN MEMBRE DE L’ÉQUIPE VOUS RECOMMANDE UN FILM (OU UNE SÉRIE) DISPONIBLE ACTUELLEMENT EN STREAMING LÉGAL, REPLAY OU EN VIDÉO.
Disponible en vidéo chez Carlotta Films et sur OCS