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LA CHAIR ET LE SANG

Au XVème siècle, trahis par le seigneur Arnolfini qui les avait employés, une bande de mercenaires, sans foi ni loi, enlève la jeune Agnès alors fiancée à Stephen, le fils du maître des lieux. Les bandits décident par la même occasion de mettre à sac la région.

Critique du film

Si La chair et le sang est un film charnière dans la carrière du réalisateur hollandais Paul Verhoeven, c’est aussi un de ses films les plus chaotiques et les plus révélateurs de son œuvre. Il se situe à la césure entre sa période hollandaise, ponctuée deux ans auparavant avec le méconnu Quatrième homme, et son cycle de films étasuniens entamé avec Robocop en 1987. C’est un film coproduit entre la France, la Hollande et les Etats-Unis, avec un casting international où l’on retrouve Rutger Hauer, pour la cinquième fois chez Verhoeven, et la débutante Jennifer Jason Leigh. Il est tourné en langue anglaise et se déroule au Bas Moyen-âge, c’est à dire dans les dernières années d’un XVème siècle marqué par la découverte de ce qui deviendra l’Amérique, et par la fin de la reconquista espagnole par Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. L’histoire semble se dérouler quelque part en Italie, autour d’une troupe de mercenaires menés par Martin, incarné par Rutger Hauer.

Brutalité et rapports sociaux

La brutalité et la sauvagerie décrites par Verhoeven sont un des terreaux de son cinéma : ce qui frappe de prime abord, c’est la violence des rapports entre les personnages. Rien n’est jamais consenti dans La chair et le sang, tout est pris de force par celui qui est soit le plus fort physiquement, soit au sommet de l’échelle sociale. Ces deux aspects cohabitent et se complètent : d’une part il est dépeint une société viscéralement viriliste, l’art de la guerre est exercé par des hommes. Ceux-ci exposent leur courage et leur capacités dans le maniement des armes, et en retour il leur est accordé butins, terres, et gloire. D’autre part on constate que l’inégalité et la sauvagerie des rapports sociaux existent également à un autre niveau. En témoigne cette scène éloquente où Jennifer Jason Leigh impose une relation sexuelle à sa servante car elle veut être témoin d’une scène de sexe. Ce qui commence comme un jeu entre deux complices, devient rapidement un ordre, la jeune noble rappelant sa condition de dominante, menaçant de représailles celle qui est sous sa coupe. Peu importe si elle fait valoir qu’elle n’en a pas envie, elle doit obéir au caprice de sa maîtresse.

Une figure revient encore une fois hanter le cinéma de Paul Verhoeven, c’est celle du viol. Il revient en mémoire celui mis en scène dans Spetters (1980), où un jeune adulte subissait les assauts punitifs de plusieurs autres hommes. Dans La chair et le sang, Agnès, noble à peine sortie du couvent pour épouser un de ses pairs, devient la captive du groupe menée par Martin le mercenaire. C’est toute la petite troupe, avec les hommes au premier rang, mais aussi les femmes et un enfant, qui assiste à ce crime. Encore une fois dans cette histoire on ne consent pas, on prend pour dévaluer l’autre. Le choix de Verhoeven, discutable, est de renverser le rapport de force et d’humiliation. Comme le dit un des personnage, en devenant active, ne pleurant pas, et en feignant le plaisir, c’est elle qui viole Martin. La perversion de ce moment n’est justifié que par la survie : Agnès réussit à toucher son assaillant, et à tomber sous sa protection, ce qui lui offre un répit.

Jennifer Jason Leigh
Un autre aspect fascinant De la chair et du sang et l’opposition qu’il dessine entre science et mysticisme, modernité et obscurantisme. Le jeune prince est en effet un érudit, qui a étudié à l’université avec de grands savants. Il rivalise d’ingéniosité dans ses créations militaires, et ses suggestions médicales permettent à l’intrigue de prendre une autre dimension. En parallèle, le groupe de mercenaire verse dans une religiosité exacerbée, notamment par la trouvaille de la statue de saint Martin, le seul à être représenté avec une épée. Tout est signe et interprétation, balises d’irrationalités au sein d’une folie qui semble épouser l’arrivée de la peste bubonique, réponse à tous les maux de cette fin d’ère, pour laver tous les péchés. Dans toute cette violence, et parmi toutes les logiques discriminatoires déjà évoquées, la peste semble le seul élément égalitaire : tous sont frappés, qu’ils soient hommes, femmes, mercenaires ou nobles. Verhoeven ne semble à aucun moment porter de jugement moral sur ses personnages : il n’y a que des anti-héros dans son histoire.

L’individualisme roi

Martin lui-même n’est rien d’autre qu’un fou meurtrier qui tire le meilleur parti de chaque instant. La logique de groupe institué au début du film vole petit à petit en éclat. Il ne demeure que des logiques individuelles : Agnès se sauve en jouant plusieurs jeux de dupe, Martin n’est dévot que tant que cela l’amuse. Il finit son histoire seul, on ne sait vers quels horizons. Cet aspect antipathique se retrouve chez l’acteur Rutger Hauer qui ne voulait pas faire le film. Son caractère tempétueux et colérique a beaucoup marqué le tournage, ce qui explique que ce sera sa dernière collaboration avec Verhoeven. La conquête de l’Amérique se fera séparément pour les deux hollandais, comme une métaphore du film qui consacre l’individualisme comme roi. Si le film paraît malade, coincé entre une gestation compliquée et des intentions peut être trop ambitieuses, il demeure fascinant dans son analyse des rapports de dominations qui dépasse le seul cadre du Moyen-âge.


Disponible sur OrangeVOD .


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