LA FIÈVRE DE PETROV
Critique du film
Trois après Leto, Grand prix à Cannes en 2018, Kirill Serebrennikov était attendu avec impatience pour son retour en compétition. Le génie affiché dans ce film, son originalité, avait participé à créer une grande attente autour du réalisateur russe. De nouveau empêché de venir défendre son film, La fièvre de Petrov, c’est en visio qu’il a pu un peu être avec son équipe pour la première mondiale d’une œuvre qui à n’en pas douter va marquer une nouvelle date majeure dans sa filmographie.
Serebrennikov est un auteur au sens le plus noble du terme, mais aussi dans l’audace sans bornes qu’il injecte dans ses longs métrages. Leto comprenait déjà des scènes qui échappaient à une narration classique, moments d’évasion musicale qui donnaient une signature toute particulière à cette histoire de groupe de rock soviétique. La fièvre de Petrov va beaucoup, beaucoup plus loin en termes d’expérimentation, d’audace, de folie. Ce que dessine Serebrennikov peut être décrit comme un opéra punk rock, une descente aux enfers avec le personnage de Petrov, qu’on suit progressivement dans ses bouffées hallucinatoires, qu’on imagine générées par la fameuse fièvre qui donne son titre au film. Le cyclone narratif commence dès le premier instant, sans un répit ou une pause. Il va falloir suivre un rythme effréné, sans se préoccuper de tout comprendre, tout voir, il faut apprécier le voyage tout simplement dans sa générosité.
Le premier temps est celui de la découverte d’un univers presque cartoonesque, rempli de personnages extravertis, excessifs, vulgaires, injurieux et très hauts en couleurs. Car de la couleur il en dégorge à chaque seconde dans ces premières scènes. Les filtres sont poisseux, presque fluos, livrant l’oeil à une inondation ininterrompue, sauf par un tour de passe-passe qui nous transporte au cœur des souvenirs même de Petrov. C’est son enfance qui débarque sans prévenir au beau milieu du plan, et par la même occasion c’est le noir et blanc qui fonctionnait si bien dans Leto qui fait son retour. On comprend assez facilement que cela coïncide avec une temporalité proche de l’ex-Union soviétique, ce qui requiert un ajustement important dans l’esthétique du film dès lors que le temps est appréhendé à rebours.
Serebrennikov plonge avec un plaisir assez visible dans ces épisodes de souvenirs, créant une atmosphère presque subliminale, comme par le biais de la nudité qui revient à de nombreuses reprises. Si rien n’est évident dans La fièvre de Petrov, on perçoit que tout vient de l’enfance, des images des parents, dénudés devant leur petit garçon, cela ayant profondément imprimé la rétine du personnage. Ce subterfuge au milieu des scènes, crée à lui tout seul de l’humour et du décalage. Du burlesque, voire du grand guignol, Petrov’s flu en est submergé. S’il est noir et cynique, il est omniprésent, tout comme la musique qui, si cette fois n’est pas le sujet du film, est un élément prépondérant de l’intrigue. Des fulgurances tranchantes comme un riff de guitare surgissent toujours pour habiller des scènes déjà copieusement servies.
La fièvre de Petrov est certes une épreuve pour le spectateur. Plus que jamais, il doit sortir de sa zone de sécurité pour profiter de ce qui constitue une véritable expérience de cinéma. Le sentiment d’avoir assister à un spectacle rare est bel et bien là, rendant ce moment encore plus particulier et singulier. La réussite formelle de cet ensemble hétéroclite qui remonte au sommet de sa folie dans le final, reconstituant son éventail de couleurs, est tout simplement inouïe. Si l’on n’a aucune certitude sur le sens de chaque scène, on a en revanche la conviction d’avoir vécu une des séances les plus folles et stimulantes de sa vie pour un film rempli à ras bord de cinéma.
La fièvre de Petrov concentre tous les excès mais aussi tous les prodiges qu’on est en droit d’attendre d’une vraie belle proposition de mise en scène, rappelant si l’on avait oublié pourquoi on aime autant le septième art. Si le cinéma est une fête, Kirill Serebrennikov en est un bien beau maître de cérémonie.
Bande-annonce
1er décembre 2021 – De Kirill Serebrennikov, avec Semyon Serzin, Chulpan Khamatova