LA FILLE D’UN GRAND AMOUR
Ana et Yves se sont aimés passionnément puis se sont séparés. Des années plus tard, leur fille, Cécile, réalise un documentaire sur leur rencontre. Ils se revoient à cette occasion. Toujours marqués par leur amour passé, ils vont alors chercher un chemin pour revenir l’un vers l’autre…
Critique du film
Scénariste depuis plus de 25 ans, notamment ces dernières années pour Les Amandiers (2022) ou Sous le vent des Marquises (2023), Agnès de Sacy réalise son premier long-métrage en tant que metteuse en scène avec La fille d’un grand amour. Les indices sont nombreux dans le scénario sur la nature très autobiographique de cette histoire, que ce soit l’histoire de ses parents, sa scolarité à la FEMIS, ou une temporalité ancrée dans les années 1990. L’introduction est transmise par l’intermédiaire d’un court-métrage, un moment intime où Cécile, personnage où l’on reconnaît la cinéaste, raconte l’amour de ses parents, divorcés depuis de nombreuses années. C’est par ce moment de cinéma qu’ils reprennent un fil brisé à cause d’une relation heurtée par des années de conflits lié au secret d’Yves, refoulant son homosexualité.
Ces premières minutes sonnent comme une première rencontre, avec les précautions d’usage, bientôt balayées par le retour de l’amertume. Le drame caché au cœur de ce couple est à double facette. D’une part, il y a donc le récit d’une génération d’hommes mariés pour ne pas montrer leur différence, et de l’autre celui de la frustration d’une femme piégée dans une histoire qui l’emprisonne dans la tromperie et un simulacre de mariage. La cinéaste excelle dans la description des paradoxes qui animent cette dualité. La scène de la deuxième rencontre entre Yves et Anna, qui se déroule dans la maison des Pyrénées de cette dernière, en est le meilleur exemple. Une dispute éclate entre eux, suivant d’une menace de départ, et une réconciliation encore plus rapide où l’on se cache du taxi commandé pour mieux rester ensemble.
À l’issue de ce moment, Yves et Ana renouvellent leurs vœux, comme pour mieux revivre leurs échecs et les inévitables écueils qui vont se dresser sur leurs chemins. Toute la bonne volonté affichée, ainsi qu’une vision optimiste de leur avenir commun, se retrouve grêlée par une foule de détails, révélant un désir d’Yves pour des relations extra-conjugales avec des hommes rencontrés par différents biais. Le confort et la sécurité du mariage se retrouvent une fois de plus en conflit direct avec la nature profonde du personnage, en lutte perpétuelle entre ce qu’il lui semble devoir faire et ce qu’il désire véritablement. En ce sens, le choix d’avoir placé très tardivement la scène de la visite chez le médecin, où l’on voit un Yves très jeune se faire sermonner et « guérir » de son homosexualité, est éloquente et d’une grande justesse.
Par ces quelques instants, illustration d’une période de notre histoire où un généraliste s’imaginait pouvoir changer l’orientation sexuelle en quelques piqûres et injonctions, on comprend parfaitement ce qui habite Yves, et qui l’écartèle depuis toujours, renforcé par un amour Ana et Cécile qui légitime sa quête d’une famille traditionnelle. Ce deuxième mariage ne fait que briser un fragile équilibre construit sur des renoncements, aussi grands de part et d’autre. La fuite d’Ana en Espagne en est un autre avatar, celui de la quête d’une identité brouillée et d’une profonde dépression, cachée sous le tapis depuis des décennies.
Le seul regret qu’on pourrait formuler, devant ce récit d’une grande sensibilité, est le peu de place consacré aux personnages secondaires et notamment à celui de Cécile, qui n’est finalement là que pour recueillir la parole de ses parents. Est-ce une pudeur de l’autrice de ne pas vouloir trop se mettre en avant dans l’histoire de ses parents ? Toujours est-il que son personnage a un déficit d’incarnation qui enlève une certaine épaisseur à la narration, trop centré sur ses deux acteurs stars. Toujours est-il que François Damiens et Isabelle Carré relèvent le défi avec énormément de talent, la dynamique de leur couple, entre conflits et réconciliations, emportant et allégeant les réserves, grâce à une sensibilité et une intelligence qui rendent le film complexe et profond.
Bande-annonce
8 janvier 2025 – D’Agnès De Sacy, avec Isabelle Carré, François Damiens, Claire Duburcq