LA ISLA MINIMA
Deux flics que tout oppose, dans l’Espagne post-franquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d’Andalousie pour enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au coeur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu’à l’absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.
True detective
La Isla minima se déroule en septembre 1980, en pleine transition démocratique espagnole, période comprise entre la mort de Franco en 1975 et les élections de 1982. Une époque bien entendu troublée, compliquée politiquement et socialement. Le traumatisme du franquisme s’avère très présent et les tensions entre ex-sympathisants du régime et opposants sont palpables, rendant l’atmosphère du film particulièrement étouffante. A cette situation, vient se greffer une ambiance de misogynie et de patriarcat qui semblent venir d’un autre âge. On se trouve dans un village isolé, où les traditions semblent figées, où des jeunes femmes gardent précieusement un article annonçant que « le monde du travail accueille les femmes ». Les deux adolescentes disparues rêvaient apparemment d’échapper à ce lieu de solitude, d’ennui et d’oppression insidieuse. Le dictateur est mort mais les clivages et la violence perdurent. Et les jeunes filles n’étaient pas les seules à espérer gagner des atmosphères plus clémentes.
L’ambiguïté des personnages constitue un des atouts majeurs du film. Aucun manichéisme, aucune simplification ne vient troubler l’écriture des personnages de l’histoire. Les deux enquêteurs, l’un jeune, Pedro, semblant particulièrement intègre et posé – Raul Arévalo – l’autre, Juan, plus âgé, jouisseur, violent et peut-être ancien tortionnaire – Javier Gutiérrez – nous inspirent des sentiments complexes. Tout comme le père des adolescentes disparues, interprété par Antonio de la Torre, pour lequel on éprouve presque moins d’empathie que de crainte face à une violence domestique à peine voilée. Chaque personnage a sa part d’ombre. Le flic plus expérimenté, malgré son passé à priori très lourd, nous apparaît à plusieurs reprises plutôt sympathique et lui-même est-il totalement exempt de remords. Une médium – authentique ou pas ? – lui annonce que « les morts l’attendent ». Et à deux reprises un oiseau semble observer Juan et le confronter aux fantômes du passé.
La rédemption est-elle possible ou l’oubli des crimes est-il lui-même impardonnable ?
Les crimes de droit commun sur lesquels enquêtent les deux inspecteurs semblent faire écho à ceux politiques, perpétrés pendant des décennies en Espagne.
La beauté presque irréelle des paysages d’Andalousie, qui donnent lieu à des vues aériennes magnifiques et insolites, accentue l’atmosphère angoissante, onirique de La Isla minima. Traversée par des canaux marécageux labyrinthiques et offrant des couleurs étonnantes et variées, la région où se situe l’intrigue se trouve magnifiée par la photographie particulièrement soignée d’Alex Catalan. Quant à la partition de Julio de la Rosa, inquiétante, elle contribue à cette atmosphère de cauchemar éveillé qui nous envahit rapidement.
La Isla minima comporte des similitudes avec les polars scandinaves, la série True Detective ou le film Memories of murder : importance d’un passé qu’on croyait enfoui, crimes en série sordides et allusions à de vieux démons liés à l’histoire politique. Avec comme autre point commun, une très belle réussite formelle. Le film d’Alberto Rodriguez a remporté de nombreuses récompenses – notamment 10 Goyas et 2 prix au Festival de Beaune – et compte parmi les très grands polars de ces dernières années.
#LBDM10ANS