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LA JEUNE FEMME À L’AIGUILLE

Copenhague, 1918. Karoline, une jeune ouvrière, lutte pour survivre Alors qu’elle tombe enceinte, elle rencontre Dagmar, une femme charismatique qui dirige une agence d’adoption clandestine. Un lien fort se crée entre les deux femmes et Karoline accepte un rôle de nourrice à ses côtés.

Critique du film

La part sombre de l’être humain intéresse Magnus von Horn depuis son premier film, Le lendemain, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2015. Cette étude âpre d’une petite communauté suédoise qui refuse la réintégration sociale d’un jeune homme ayant purgé sa peine de prison pour un crime grave se démarquait par son approche clinique et volontairement distanciée. Après un deuxième essai, Sweat, beaucoup plus bancal, le réalisateur suédois voit son troisième long-métrage sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes 2024. Présenté par son auteur comme un « conte de fée pour adultes », La jeune femme à l’aiguille n’a pourtant rien de féérique sur le papier puisqu’il s’inspire de l’une des affaires criminelles les plus choquantes connue par le Danemark au début du XXème siècle.

C’est pourtant via le prisme de la fiction que le récit s’offre aux spectateurs dans un premier temps. L’on y suit chevillés au corps Karoline, couturière à Copenhague dans une usine de textile transformée en atelier de confection d’uniformes pour l’armée (nous sommes en 1918). Son mari porté disparu au combat, elle est séduite par son patron et tombe bientôt enceinte de ce dernier. Elle lui fait promettre de l’épouser et rêve d’un avenir meilleur. Mais les plans des amants ne se déroulent pas comme prévu et Karoline se retrouve dans le dénuement le plus total, jusqu’à sa rencontre avec Dagmar Overbye, une femme qui lui propose, contre rétribution, de faire adopter son nouveau-né par un couple bourgeois…

A bien des égards, La jeune femme à l’aiguille prend effectivement l’allure d’un conte très cruel. Au sein même de la diégèse du film, l’héroïne – dont on adopte le point de vue – n’hésite pas à se raconter une belle histoire qui lui permet d’espérer des jours meilleurs. Elle pense avoir trouvé le prince charmant, enfile bientôt des robes d’apparat, puis se trouve finalement rejetée par une méchante reine à cause de son statut de roturière. Il y a également le personnage de Dagmar, énigmatique gérante d’une confiserie, filmée à loisir comme une marraine la bonne fée ou la sorcière d’Hansel et Gretel. Magnus Von Horn reprend les codes thématiques des histoires pour enfants (dont on oublie parfois qu’elles sont un réservoir à horreurs) pour raconter la survie d’une femme dans un monde froid et hostile.

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La vision du chemin de croix parcouru par Karoline rend parfois l’expérience du film très éprouvante. En outre, le maniérisme de la mise en scène interroge souvent. N’y a-t-il pas de la part du réalisateur une certaine complaisance à regarder cette femme plonger dans un puits de souffrance sans fond, tout en composant chaque photogramme comme un magnifique tableau expressionniste ? Difficile d’avoir un avis tranché sur la question. Il y a certes une propension non négligeable de Von Horn à flirter avec les limites du supportable. Sa gestion du son et le choix d’une musique dissonante interviennent à plusieurs reprises comme des effets doloristes sur-signifiants. De même, le film s’éternise dans sa dernière ligne droite quitte à donner l’impression d’une surenchère dans l’horreur, affaiblissant la portée de sa glaçante conclusion. 

Pour autant, il serait injuste de reprocher au réalisateur une démarche purement sadique. Le film est dérangeant, difficile à regarder, mais se met toujours au niveau de ses deux personnages féminins (incarnés par Trine Dyrholm et Vic Carmen Sonne), évitant constamment de poser un regard surplombant et moralisateur sur ces derniers. C’est la grande force du film. L’écriture de Karoline et Dagmar se révèle passionnante dans ce qu’elle dit de la société et de ce que cette dernière inflige aux femmes depuis des siècles. Les ponts avec notre époque sont évidents et suscitent forcément le malaise. 

Cauchemar visuel et thématique à la lisière du fantastique, La jeune femme à l’aiguille comptera certainement parmi les films les plus clivants de cette édition cannoise. Il n’en reste pas moins une proposition formelle ahurissante de maitrise qui, malgré un goût un peu trop prononcé pour le sordide, s’aventure comme rarement dans les ténèbres les plus noires de l’humanité.


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