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LA LEÇON DE PIANO

Ada, mère d’une fillette de neuf ans, s’apprête à partager la vie d’un inconnu, au fin fond du bush néo-zélandais. Son nouveau mari accepte de transporter toutes ses possessions, à l’exception de la plus précieuse : un piano, qui échoue chez un voisin illettré. Ne pouvant se résigner à cette perte, Ada accepte le marché que lui propose ce dernier : regagner le piano, touche par touche en se soumettant à ses exigences…

Rétrospective Palmes d’Or

En 1993, Jane Campion devenait la première femme réalisatrice à remporter la Palme d’or au Festival de Cannes pour La Leçon de piano. Cette distinction, partagée avec Adieu ma concubine de Chen Kaige, a marqué un tournant dans l’histoire du cinéma et il aura fallu attendre 2021 et 2023 pour voir deux femmes (Julia Ducournau et Justine Triet) décrocher individuellement cette prestigieuse récompense. À quelques semaines de la 78e édition, nous ouvrons un cycle rétrospective sur quelques Palmes d’Or, plus ou moins célébrées, avec le film qui consacra Jane Campion, qui fut également la première réalisatrice à présider le jury des longs métrages (lors de la 67ᵉ édition du festival).

La Leçon de piano nous présente Ada McGrath (Holly Hunter), une Écossaise muette envoyée en Nouvelle-Zélande pour un mariage arrangé avec un certain Alisdair Stewart (Sam Neill), un colon influent installé au cœur du bush néo-zélandais. Accompagnée de sa fille Flora (Anna Paquin) et de son piano bien-aimé, Ada voit son instrument cédé par son nouveau mari à George Baines (Harvey Keitel), un voisin visiblement intrigué par la musique. Mais ce prétexte initial cache une réalité toute autre. Dès leur première entrevue, Baines dévoile ses véritables intentions : Ada pourra récupérer son piano en échange de leçons particulières, durant lesquelles il va instaurer un chantage sexuel, en exigeant des contacts physiques en contrepartie. Revoir le film en 2025, c’est aussi constater que cette dynamique malsaine soulève d’importantes questions éthiques et met en lumière des rapports de pouvoir problématiques.

la leçon de piano

Chantage sexuel et émancipation

Pour comprendre le choix d’Ada, qui cédera finalement à ses exigences, il faut mesurer l’importance que revêt le piano dans sa vie. On le comprend rapidement, l’instrument lui sert de moyen d’expression en l’absence de parole et symbolise sa voix intérieure, ses émotions, et constitue une part de son identité profonde. Privée de celui-ci et éloignée du monde qu’elle a connu jadis, Ada est réduite au silence, ce qui accentue son isolement et sa vulnérabilité. On ne peut écarter le fait que l’écriture des personnages sème le trouble pour un regard averti et sensible à la condition féminine et aux questions de consentement, mais on peut aussi voir dans la démarche de Campion une volonté de sensibiliser et déconstruire les perceptions, en offrant à Ada un parcours d’émancipation et à Baines une voie vers la rédemption et la prise de conscience.

Car si le chantage initial instaure une relation de pouvoir clairement déséquilibrée, le film montre progressivement Ada reprenant le contrôle, notamment à travers son art et son désir. Ainsi, la cinéaste filme son héroïne avec une grande sensibilité, évitant de la réduire à un simple objet du désir masculin, et rend hommage à sa résilience, même lorsqu’elle subit la cruauté et la possessivité de son mari. Dommage que cet angle courageux et dénonciateur de l’oppression patriarcale laisse malheureusement place à un certain scepticisme lorsque le scénario développe une romance entre Ada et Baines, ce même homme qui a profité de sa position pour se comporter comme un prédateur sexuel.

Des réserves persistantes et une lueur d’espoir

La conclusion du film offrira ainsi plusieurs interprétations et ne dissipera pas forcément certaines réserves, mais elle peut aussi exprimer une lueur d’espoir dans la reprise de contrôle d’Ada sur son destin. Après avoir été entraînée accidentellement dans le fond de l’océan avec son piano, elle choisit finalement de se libérer de son passé en laissant l’instrument couler, symbolisant sa volonté de s’en affranchir et de renaître. Ce geste cathartique est suivi par le recouvrement de sa voix, suggérant une réappropriation de son identité et de sa liberté.

Malgré les interrogations qu’il soulève, La leçon de piano n’en demeure pas moins une oeuvre phare des années 90 et on constatera que, sur le plan formel, plus de trente plus tard, le film n’a rien perdu de sa superbe. La mise en scène de Campion et photographie de Stuart Dryburgh capturent la beauté sauvage des paysages néo-zélandais, créant une atmosphère à la fois envoûtante et oppressante, tandis que la bande originale de Michael Nyman, qui accompagne parfaitement le récit, traduit les émotions d’Ada avec une intensité rare.


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Rétrospective spéciale Palmes d’Or