LA LIGNE ROUGE
Un soldat déserteur, installé dans un village mélanésien, est réintégré dans une Compagnie envoyée dans le Pacifique pour reprendre l’île de Guadalcanal à l’armée japonaise. Après avoir débarqué, la Compagnie pénètre dans les territoires intérieurs de l’île et arrive à la Colline 210, où les Japonais ont installé un bunker lourdement armé. Les assauts de la Compagnie sont repoussés par le feu ennemi, qui provoque de nombreuses pertes dans ses rangs…
Paradis perdu.
« The nuns taught us there are two ways through life, the way of Nature and the way of Grace. You have to choose which one you’ll follow. »
Déclamée en parfaite métaphore du couple formé par Brad Pitt et Jessica Chastain dans The Tree of Life, cette citation paraît venir illustrer, des années plus tard, les choix cornéliens auxquels sont régulièrement soumis les personnages de Terrence Malick. La monotonie ou la marginalité ? (Badlands, 1973) Le cœur ou la raison ? (Days of Heaven, 1978) ? Le réalisateur avait, dès ses débuts, tracé des chemins sinueux pour des êtres tourmentés, en quête d’une vérité leur faisant cruellement défaut. Vingt ans après ses deux premiers essais, La Ligne Rouge réutilise cette dichotomie en mêlant la Nature et la Grâce dans l’horreur d’un conflit disloquant les âmes d’hommes dépassés par une guerre dont ils ne soupçonnaient pas l’ampleur.
On aurait toutefois tort de vendre La Ligne Rouge comme un « film de guerre » à proprement parler en occultant sa portée métaphysique. Fréquemment cité dans un intense triptyque aux côtés d’Apocalypse Now et de Voyage au bout de l’enfer (trois peintures dévastatrices, chacune à leur manière), le film s’élève bien au-dessus d’une simple dénonciation des absurdités de la guerre. Ainsi, Terrence Malick ne voulait pas reconstituer la bataille de Guadalcanal en adaptant littéralement le roman de James Jones (auteur de Tant qu’il y aura des hommes) : Andrew Marton l’avait déjà fait en 1964, si bien qu’il n’y voyait, paraît-il, aucun intérêt. Après une absence sans précédent dans l’histoire du cinéma et alors que les plus grandes stars hollywoodiennes étaient prêtes à tous les sacrifices pour tourner avec lui, le réalisateur a réuni un casting associant jeunes pousses et talents confirmés. Fidèle à son sens du secret et à son exigence, il s’est appliqué à brouiller les pistes en laissant ses acteurs improviser avant d’entreprendre un fastidieux travail de montage. Billy Bob Thornton était chargé de la voix off ? Terrence Malick a décidé de la faire ré-enregistrer par ses interprètes. Adrien Brody devait jouer le rôle principal ? C’est finalement Witt, le personnage de Jim Caviezel, qui s’extirpe peu à peu d’une troupe de comédiens hétéroclite. Instinctivement, le cinéaste crée un film à la structure opératique, bientôt devenu inclassable dans son évocation d’une violence qui transforme et bouleverse.
Sensorielle et lyrique, au plus près de protagonistes rongés par l’angoisse, sa mise en scène vient, quant à elle, sonder la moindre trace d’humanité en plein chaos et exposer inlassablement la lutte de l’ombre et de la lumière sur les ruines d’un Paradis Perdu. Trois heures durant, Terrence Malick équilibre son poème (ou sa prière) entre les visions d’une guerre aussi cruelle que sanglante et le cadre idyllique dessiné par une nature luxuriante, témoin des pires atrocités. Deux mondes se confrontent, s’enlacent et se cannibalisent dans une descente aux enfers vécue à travers les voix et les regards de jeunes gens terrorisés et poursuivis par la mort. Démultipliées, leurs pensées s’expriment dans de longs monologues trahissant les sentiments de perte et de culpabilité face à des questionnements impossibles à tarir. Sur le champ de bataille, chacun se moque des honneurs, inutiles une fois tous ces destins brisés, et se raccroche aux réminiscences d’une femme ou d’une mère en luttant pour conserver cette image d’un bonheur évanoui. Quasiment absents, les personnages féminins sont renvoyés à des idoles, adorées et idéalisées, à des sources de douceur et de réconfort, elles aussi détruites après un combat ayant tout ravagé sur son passage (la lettre de rupture comme point d’orgue).
Rarement filmée de façon aussi frontale, la peur exhale de chaque plan. Terrence Malick encercle ses héros jusqu’à l’étouffement, montrant, certes, une véritable cohésion de groupe mais surtout la terreur d’affronter seul cette indéchiffrable odeur de mort. La Ligne Rouge symbolise ce lien ténu entre les hommes, qu’ils soient capitaine (Elias Koteas, épatant) ou soldat (Jim Caviezel, superbe), mais aussi celui scindant deux univers irréconciliables. Devant cette coexistence chimérique, le fil finit alors par se rompre tandis que les uns retournent vers un monde tant espéré au moment de leur dernier souffle et que d’autres laissent derrière eux une terre qui reprend ses droits, impassible face aux égarements de l’homme.
La fiche
LA LIGNE ROUGE
Réalisé par Terrence Malick
Avec Sean Penn, Jim Caviezel, Nick Nolte…
Etats-Unis – Guerre, drame
Sortie : 24 février 1999
Durée : 170 min