LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES
Kya, une petite fille abandonnée, a grandi seule dans les dangereux marécages de Caroline du Nord. Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur la » Fille des Marais » de Barkley Cove, isolant encore davantage la sensible et résiliente Kya de la communauté. Sa rencontre avec deux jeunes hommes de la ville ouvre à Kya un monde nouveau et effrayant ; mais lorsque l’un d’eux est retrouvé mort, toute la communauté la considère immédiatement comme la principale suspecte. À mesure que la vérité sur les événements dessine, les réponses menacent de révéler les nombreux secrets enfouis dans les marécages.
Critique du film
Après un succès littéraire retentissant aux États-Unis, il n’a pas fallu longtemps pour que le roman de Delia Owens attire l’attention des producteurs américains et se voit offrir la chance d’être adapté sur grand écran. C’est finalement Reese Witherspoon qui, après avoir promu le livre sur le compte Instagram de son club de lecture en 2018, s’est lancée dans l’aventure. Forte de son expérience antérieure de lectrice-productrice -elle avait déja été à l’origine de l’adaptation très réussie du roman La saison des feux en une mini-série pour Hulu, Witherspoon a offert au film une équipe de choix. En s’entourant exclusivement de talents féminins -la réalisatrice Oliva Newman, la scénariste Lucy Alibar, familière avec le thème du Sud étasunien puisqu’elle avait co-écrit Les bêtes du sud sauvage en 2012, la jeune première Daisy Edgar-Jones, très remarquée pour son rôle dans la série Normal People, mais aussi la pop-star Taylor Swift pour la composition de la bande son- Reese Witherspoon réunissait ainsi les ingrédients d’un succès commercial léché.
Marécages moites, cabane dans les bois et forêts obscures : avant d’être une histoire d’amour et une énigme policière, Là où chante les écrevisses est avant tout une ode à la nature de la Caroline du Nord et à sa liberté. Faisant la part belle aux oiseaux, dont les plumes peuplent la maisonnette de l’héroïne, aux plantes et à l’appel du grand air, le film se veut l’une de ces oeuvres où le paysage est un personnage à part entière ; “certains peuvent vivre loin de la vie sauvage, d’autres ne peuvent pas”, résume l’héroïne Kya en citant les mots de l’écologiste Aldo Leopold. Incarnation même de la sauvagerie qu’elle mentionne, le personnage principal nous parle également d’émancipation à un niveau plus vaste, tandis que le film effleure les problématiques sociales des années 50 -classisme, sexisme, misère- et offre un visage à l’indépendance féminine confrontée à une société étroite d’esprit et violente.
Malgré ce pitch alléchant, le film peine cependant à nous faire ressentir ce vent de liberté et d’émancipation dont il souhaite tant parler. Victime peut être de ses bonnes intentions, il offre une image un peu trop lisse des sujets qu’il entend aborder : on peine à reconnaître en la douce Daisy Edgar-Jones l’héroïne farouche et « white trash » que les gens de la ville rejettent, tandis que Olivia Newman évacue un peu rapidement les questions de pauvreté et d’exclusion sociale, qui servent surtout de ressorts dramatiques superficiels. Si la construction de l’intrigue, sous forme de film-procès, ménage le suspens jusqu’au bout, on regrette que Là où chante les écrevisses s’attarde tant sur l’histoire d’amour un peu mièvre entre Jones et son partenaire Taylor John Smith, qui incarne un Tate agaçant de bonne volonté, au visage de jeune premier américain blond trop éclatant pour être émouvant.
Un peu plus convaincant, c’est finalement Harris Dickinson, dans le rôle teigneux de Chase Andrews, qui réussit le plus à personnifier l’ambivalence psychologique dont le film veut traiter. Hésitant entre le mystère et le romantisme, Là où chante les écrevisses semble ne jamais vraiment réussir à trancher et recycle des clichés cinématographiques -premier baiser enchanteur, trope peu glorieux du “nègre magique”, voix-off inégale- au détriment de la vraie noirceur de son propos. Les effets spéciaux, allant du vieillissement grotesque des personnages aux fonds verts peu convaincants, achèvent de faire du film une caricature de lui-même malgré un fil narratif loin d’être inintéressant. Il en résulte un long-métrage appréciable, mais dont les ambitions psychologiques auraient peut-être mieux convenues au format d’une série, qui aurait permis d’étaler plus équitablement les différents temps de l’intrigue. Si Là où chantent les écrevisses réussira sans doute à chasser l’ennui de la canicule et à tenir en haleine les plus émotifs et les fans de romances, il peinera en tout cas à marquer durablement les esprits.
Bande-annonce
18 août 2022 – D’Olivia Newman, avec Daisy Edgar-Jones, Taylor John Smith et Harris Dickinson.