LA PLUS PRECIEUSE DES MARCHANDISES
Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. Le froid, la faim, la misère, et partout autour d´eux la guerre, leur rendaient la vie bien difficile. Un jour, pauvre bûcheronne recueille un bébé. Un bébé jeté d’un des nombreux trains qui traversent sans cesse leur bois. Protégée quoi qu’il en coûte, ce bébé, cette petite marchandise va bouleverser la vie de cette femme, de son mari , et de tous ceux qui vont croiser son destin, jusqu’à l’homme qui l’a jeté du train. Leur histoire va révéler le pire comme le meilleur du cœur des hommes.
Critique du film
Le générique de La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius interpelle et répond aux premières questions que l’on pourrait se poser sur ce projet. S’il était insolite à première vue de retrouver le cinéaste oscarisé pour The Artist sur un film d’animation, c’est une plus grande révélation de découvrir qu’il a lui même réalisé les dessins du film en ce qui concerne toute la partie de pré-production. Cela rappelle qu’Hazanavicius, avant d’être cinéaste, a fait une école d’art et possède une sensibilité qui le portait naturellement vers l’animation. Ce projet est mené en collaboration avec Jean-Claude Grumberg, auteur du roman originel, touchant à l’intimité de l’auteur, d’origine lituanienne, polonaise et juive. En effet, si le titre du film ne l’indique pas directement, il est bien question de la Deuxième Guerre mondiale ici, et de la Shoah, par le biais du conte.
Passées ces informations sur la genèse du film, le premier choc est d’entendre la voix si particulière et merveilleuse du regretté Jean-Louis Trintignant, décédé en juin 2022. Ce grand acteur, notamment de théâtre, avait passé ses dernières années à organiser des lectures, son incroyable voix étant toujours bien présente quand le corps commençait à faire défaut. Cette narration plante de façon évidente le récit dans le conte, s’amusant que les débuts peuvent ressembler au Petit Poucet de Charles Perrault. On y retrouve la même famille de bûcherons et la même problématique de la difficulté de nourrir une bouche supplémentaire. La comparaison s’arrête néanmoins ici, le désir d’enfant étant ici déçu, et l’arrivée inattendue d’une petite fille trouvée à côté des voies ferrées un miracle qu’on ne saurait rejeter.
Toute cette première partie, qui met en scène le couple de bûcherons, est magistrale en cela qu’elle raconte la Shoah sans jamais la nommer, pas plus que l’origine exacte de l’enfant dont le peuple est nommé « les sans coeurs ». La femme du bûcheron confronte son mari à toutes ses croyances absurdes et à l’humanité de cette enfant, qui réussit à lui faire ouvrir les yeux sur son innocence, loin des inepties populaires concernant sa communauté d’origine. Cette noirceur, qui quitte finalement le cœur de cet homme frustre, se retrouve à chaque recoin de l’histoire, se représentant à chaque fois qu’elle paraissait mise à distance. C’est ce qu’il y a de magnifique dans La plus précieuse des marchandises : une capacité à remettre l’effort sur la table, de faire le lien entre chaque moment du film et à émouvoir sans par la beauté de ses situations, toutes simples.
L’animation est de la même épure. À l’instar des dialogues, elle est économe de ses effets, d’une grande efficacité dans ses dessins animés, ni très beaux ni laids, impressionnants de vérité. Néanmoins, par la voix de son narrateur, l’auteur se défend de vouloir la raconter cette histoire dure, officielle et impérieuse. Le terme de conte revient de nouveau, comme pour mieux se détacher d’une forme trop attendue, celle du devoir de mémoire lié à ce type d’oeuvre. Pourtant, quelle plus belle façon de raconter ce morceau d’histoire si important qu’en la ramenant au plus petit dénominateur commun, une petite fille sauvée de la mort par les mains de son père, lui laissant une chance de vivre, quand lui est envoyé mourir.
Michel Hazanavicius fait preuve d’une sensibilité incroyable dans sa narration, les moments de silence étant nombreux, pour mieux laisser parler l’image et l’animation. Le regard d’un père qui reconnaît une étoffe, les yeux de sa fille, ont ils besoin d’être souligné par une parole ou un dialogue ? Cette humanité qui transpire de chaque image, et qui s’incarne subrepticement par des petits détails au détour des plans, sont bien plus parlants et touchants que bien des tentatives de verbaliser l’horreur, tout comme la noirceur de l’âme humaine.
Bande-annonce
20 novembre 2024 – De Michel Hazanavicius
Avec les voix de Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Denis Podalydès