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LA PRISONNIÈRE DE BORDEAUX

Alma, seule dans sa belle maison de ville, et Mina, jeune mère des cités d’une autre ville, organisent leur vie autour des visites qu’elles font en prison à leurs deux compagnons. Dans le sas des parloirs, les deux femmes se rencontrent et s’engagent dans une improbable amitié…

Critique du film

« Dis-moi, tu mens ! Je sens, tu mens. » C’est sur les paroles de la chanson originale Je Sens, Tu Mens, composée par Amine Bouhafa, que s’ouvre La Prisonnière de Bordeaux, présenté à la Quinzaine des cinéastes. Un morceau qui complète toute une bande-originale onirique, presque illusionniste qui invite immédiatement le spectateur à suivre les pas de la rêveuse Alma (Isabelle Huppert). On découvre à travers le miroir du plafond d’une boutique de fleurs avant de l’observer dans le rétroviseur de sa voiture. Ce reflet que l’on regarde, c’est l’image qu’Alma se fait d’elle-même : une femme indépendante et libre, loin de cette bourgeoise girondine triste et esseulée. Son bouquet, elle l’achète pour elle seule : sa seule compagnie quotidienne est sa domestique Cristina. Son unique occupation de la semaine, c’est de rendre visite à son mari — un riche médecin collectionneur d’art qui la méprise — en prison. En quête désespérée de compagnie, Alma se lie à Mina, blanchisseuse de Narbonne dont le mari est aussi incarcéré à Bordeaux.

L’atmosphère du début du film prend tout son sens dès leur premier contact : le personnage d’Isabelle Huppert rêve d’une rencontre transformatrice, d’une amitié faisant office d’illusion pour apaiser (ou dissimuler) son mal-être constant. Dans son long-métrage épuré et élégant, Patricia Mazuy installe un malaise ambiant. Le schéma narratif est classique : deux femmes de deux milieux différents deviennent amies et s’affranchissent des codes imposés par leurs classes sociales respectives. La cinéaste évite cependant plusieurs écueils, maintenant toujours une certaine distance entre ses protagonistes qui, sincèrement, espèrent développer une relation durable. Malgré ce désir d’aller l’une vers l’autre, leurs modes de vie trop éloignés les empêchent de construire une relation saine.

la prisonnière de bordeaux

Patricia Mazuy a parfaitement saisi les nuances d’une amitié qui vascille dès sa naissance. À terre, Mina simule un malaise pour convaincre l’administration carcérale de la laisser voir son mari (elle s’est trompée de jour et est venue trop tôt). Plus tard, elle s’endort sur un banc de bus. Alma assiste aux deux spectacles et, sous couvert de gentillesse — qui cache en vérité une volonté égoïste de se distraire — aborde celle qu’elle qualifie par la suite de « codétenue » et l’héberge (d’abord une nuit, puis pendant plusieurs semaines). La relation dominante-dominée n’est jamais vraiment brisée. Chaque interaction cache un besoin personnel, qu’il soit financier ou ludique. Grâce au talent comique d’Isabelle Huppert et à plusieurs situations particulièrement drôles, Patricia Mazuy apporte à son film une singularité étonnante, loin de la noirceur de Bowling Saturne.

C’est d’ailleurs lorsqu’elle se rapproche du film policier (de braquage en l’occurrence) que la cinéaste pêche le plus : on ne croit jamais vraiment au dernier acte du film, qui s’éloigne des interactions fascinantes entre les deux protagonistes. La rencontre entre Mina et les amis d’Alma, dont un avocat riche et hautain, permettait à La Prisonnière de Bordeaux de convaincre par sa subtilité — qui disparaît totalement vers la fin du long-métrage. Heureusement, l’ambiguïté des protagonistes persiste jusqu’à la conclusion : les deux femmes subissent les conséquences des actes de leurs maris, et agissent pourtant pour les satisfaire constamment. C’est leur rapport aux hommes qui les poussent à se mentir, alors même que leur émancipation n’a jamais été aussi prononcée que depuis leur rencontre. Lors d’une séquence finale sur la route, reflet de l’ouverture du film dans la voiture d’Alma, l’illusion persiste. La musique d’Amine Bouhafa accompagne Isabelle Huppert, qui semble enfin s’être libérée de son mari qu’elle n’a jamais vraiment aimé… mais elle est la seule à croire à sa nouvelle liberté. Sa soudaine prise de conscience semble aussi irréelle que son amitié fantasmée avec Mina.


28 août 2024 – De Patricia Mazuy, avec Hafsia HerziIsabelle HuppertMagne-Håvard Brekke


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