LA PROIE D’UNE OMBRE
Déchirée par la mort brutale de son mari, Beth se retrouve seule dans la maison au bord du lac qu’il avait construite pour elle. Elle s’efforce de faire face, mais d’inexplicables cauchemars font leur apparition. Dans de troublantes visions, une présence insaisissable semble l’appeler…
Critique du film
Si David Bruckner n’est pas le nom le plus connu du cinéma d’horreur, le réalisateur a déjà pourtant pas mal de faits d’armes à son actif du côté du genre, dont l’un des segments les plus intéressants du film à sketchs V/H/S, et surtout l’excellent Le Rituel, pour Netflix, dans lequel il démontrait un savoir-faire indéniable à jouer avec les codes de l’épouvante tout en construisant des personnages finement caractérisés. Son dernier film, The Night House (rebaptisé La Proie d’une ombre dans nos contrées) a les honneurs de la salle après une Première mondiale pré-pandémie à Sundance en janvier 2020, ainsi qu’une présentation en compétition officielle ces jours-ci au festival de Deauville ; histoire de confirmer tout le bien qu’on pense du cinéaste ?
L’art de la simplicité
Ce qui saute aux yeux au visionnage de La Proie d’une ombre, c’est la limpidité exemplaire avec laquelle le réalisateur met en image une intrigue pourtant plutôt nébuleuse sur le papier. Devant faire face au suicide inexplicable de son mari, Beth est une femme au bord du précipice. Renfermée sur elle même, rongée par un deuil impossible et la colère sourde qui en découle, la jeune femme est bientôt en proie à des rêves et visions dans lesquels le spectre de son époux semble vouloir la contacter. Comme dans Le Rituel, Bruckner accorde une importance capitale au développement de son personnage principal, ainsi qu’à ses névroses. Et comme dans son précédent long métrage, il allie la fine écriture du scénario qu’il investit à une économie de moyens et d’effets bienvenus pour susciter l’effroi chez le spectateur. Jouant intelligemment avec les figures imposées du genre (jump-scares efficaces et disposés avec parcimonie, design sonore malin et habilement travaillé), le réalisateur n’use jamais des effets avec esbroufe, tranchant finalement considérablement avec bon nombre de propositions horrifiques contemporaines (coucou les productions Blumhouse !).
En privilégiant la suggestion à l’horreur frontale, Bruckner propose un film de fantôme »à l’ancienne », impression renforcée par le parcours intérieur et intime de son personnage principal, dans la droite lignée des héroïnes du genre affrontant une réalité qui se distord peu à peu sous leurs yeux. On pense bien sûr à des classiques comme Les innocents ou Les autres. Certaines apparitions fantomatiques évoquent quant à elles le cultissime Le carnaval des âmes. Mais à la différence qu’ici, Beth choisit d’embrasser très rapidement la dimension surnaturelle des événements auxquels elle fait face, évitant de ce fait beaucoup de lieux communs propres aux films de hantise. Ne cherchant jamais à fuir l’entité qui la tourmente, mais au contraire à traquer constamment cette dernière pour obtenir des réponses, Beth va à contre-courant de l’archétype féminin de ce type de film. À la fois investigatrice et éternelle survivor, elle reste toujours proactive et montre une détermination à toute épreuve malgré les maux dont elle est victime (la caméra isole d’ailleurs totalement le personnage dans le décor pendant toute la première partie du film). Là encore le travail d’écriture est à saluer, tant toutes les décisions et actions de Beth font sens du début à la fin, même lorsque cette dernière se met sciemment en danger.
Rebecca Show
Évidemment, le film n’aurait pas le même impact sans l’interprétation sans faille de son interprète principale, la trop sous cotée Rebecca Hall. Véritable cœur battant du film, l’actrice anglaise (également co-productrice) déploie une palette de jeu sensationnelle avec un rôle pourtant très casse-gueule. Seule et livrée à elle même pendant une bonne partie du long-métrage, la comédienne se glisse avec une nuance remarquable dans la peau de cet être tout en souffrance intériorisée. Une souffrance contrebalancée par des accès de colère contenue (mais prête à éclater à tout moment) pendant lesquels le personnage se révèle beaucoup plus ambiguë que ce qu’il pouvait laisser à penser initialement. Preuve en est, une scène de confrontation ultra tendue entre Beth et le personnage incarné par Stacy Martin, où un jeu de pouvoir pervers s’initie insidieusement entre les deux femmes. En quelques plans et répliques, Rebecca Hall livre une prestation inquiétante qui rebat les cartes et laisse quelques doutes au spectateur quant à la réalité psychologique du personnage.
Dommage que le film se perde dans un dernier acte plus démonstratif (donc moins effrayant) et un peu pataud dans ses révélations finales. Pas sûr que le spectateur avait besoin d’un torrent d’explications plus ou moins satisfaisantes pour saisir les belles réflexions sur le deuil développées jusqu’ici… Rien qui ne doive gâcher l’expérience de ce petit film de genre atmosphérique qui choisit volontiers de se tourner vers une horreur introspective aussi effrayante qu’émouvante, à mille lieux des canons du genre actuels.
Bande-annonce
15 septembre 2021 – De David Bruckner, avec Rebecca Hall, Sarah Goldberg