LA TOUR
Au cœur d’une cité, les habitants d’une tour se réveillent un matin et découvrent que leur immeuble est enveloppé d’un brouillard opaque, obstruant portes et fenêtres – une étrange matière noire qui dévore tout ce qui tente de la traverser. Pris au piège, les résidents tentent de s’organiser, mais pour assurer leur survie ils succombent peu à peu à leurs instincts les plus primitifs, jusqu’à sombrer dans l’horreur…
Critique du film
La Nuée, Titane, Ogre… Ces dernières années, le cinéma français s’est résolument aventuré dans l’horreur et le fantastique, et ce n’est pas pour déplaire à Guillaume Nicloux, qui s’inscrit dans cette mouvance avec La Tour, un long-métrage post-apocalyptique ambitieux et oppressant. Coincés dans une immense tour d’immeuble, des habitants font face à un brouillard opaque qui les coupe du monde et les plonge dans la terreur, faisant ressortir leurs pires instincts de survie.
Si l’histoire de la menace extérieure peut à première vue sembler vieille comme le monde -on pense forcément aux romans de Stephen King, The Mist et Dome, mais aussi à toute un pan du cinéma américain allant de 28 jours plus tard à Rec, Guillaume Nicloux a le mérite d’importer le genre sur le sol français, où la science-fiction reste encore balbutiante. Plus encore, à la différence de Dans la brume, un huis-clos au pitch très similaire, qui prenait place dans un immeuble parisien, La Tour se donne aussi comme pari d’ancrer son récit en banlieue. Souvent confinée aux histoires de drogue et de violence bourrées de clichés, cette dernière se voit ici offrir un nouveau visage, loin du drame social misérabiliste qu’on lui impose habituellement.
Sur ce plan, le réalisateur réussit honorablement à réconcilier deux univers que jusque là tout opposait dans l’imaginaire français -l’horreur et la tour HLM, et livre un film qui exploite habilement son décor. Il y plante également des protagonistes que l’on a peu l’habitude de voir dans le film de genre, encore résolument blanc, dont Hatik, le jeune rappeur découvert dans la série Validé, et Angèle Mac sont les figures de proue. Les problématiques du racisme affleurent tandis que les habitants, incapables de s’entendre, choisissent de se regrouper par ethnies -”les blancs sont déjà entre eux de toute façon » note un des personnages. Et que ses jeunes têtes d’affiches et son étalonnage léché ne vous trompent pas : derrière ses allures de teen movie produit pour Netflix, La Tour se révèle film bien plus sombre et pessimiste qu’il n’en a l’air. Proxénétisme, pénuries, guerre de gangs, refuge dans la foi : plutôt que de se concentrer sur la dimension fantastique de son récit, Guillaume Nicloux choisit d’explorer la noirceur de l’âme humaine, qui, à l’instar du mystérieux vortex entourant les héros, semble sans fond et sans remède.
Malheureusement, en dépit de ces intentions plutôt honorables, le film pâtit de défauts d’écriture et de rythme qui l’alourdissent. Découpées en périodes de temps inégales et jalonné de drames parfois absurdes, l’histoire peine à mettre en scène la déchéance des habitants, dont on a du mal à suivre l’évolution. Les personnages féminins, malgré le rôle de crucial qui semblait leur être offert au début de l’intrigue, sont vite relégués au second plan, n’ayant pas grand chose d’autre à offrir que leurs corps en échange de la protection des mâles alpha de leur étage. Certaines pistes narratives, comme la religion ou le cannibalisme, sont ébauchées puis laissées à l’abandon tandis que le film s’englue dans des conflits inter-clans dont on perd le fil. Peut-être est-ce le nihilisme dont se réclamait Guillaume Nicloux qui finit par prendre le dessus ? Difficile de trancher. Il en résulte un film hybride, dont la sombre originalité ne laisse ni indifférent ni indemne, mais qui peinera à porter sur ses frêles épaules le renouveau de la SF française.
Bande-annonce
8 février 2023 – De Guillaume Nicloux, avec Angèle Mac, Hatik et Ahmed Abdel Laoui.