LA TROISIÈME GUERRE
Léo vient juste de terminer ses classes à l’armée et pour sa première affectation, il écope d’une mission Sentinelle. Le voilà arpentant les rues de la capitale, sans rien à faire sinon rester à l’affût d’une éventuelle menace…
Critique du film
La courte année d’exploitation en salle que fut 2020 avait permis de découvrir le premier film du cinéaste italien Filippo Menghetti, Deux, perpétuant un regard étranger sur la société française et son incapacité encore tenace à considérer les amours de deux femmes âgées, obligées de se cacher de leur famille pour vivre librement. Le cinéma s’apprête, nous l’espérons de tout cœur, à revenir dans les salles après des mois de disette et d’empêchement, et c’est un autre réalisateur transalpin, Giovanni Aloi, qui va nous présenter son travail pour la première fois. La Troisième guerre est là aussi enraciné dans le paysage français, au sein d’une armée appelée à se mobiliser pour lutter contre le terrorisme qui a frappé durement avec de nombreux attentats à la fin de la décennie précédente. C’est donc par un sujet fort mais également particulièrement sensible que commence la carrière du jeune cinéaste, passé par le festival de Venise en 2020.
Son véhicule est trouvé en la personne de Léo, tout jeune soldat zélé qui entame sa première mission, au sein d’un groupe de « sentinelles », patrouillant dans Paris pour prévenir exclusivement tout risque terroriste. D’emblée, le film présente l’absurdité de la situation : le petit groupe de soldats dont fait partie Léo n’est pas policier, il est là dans un but précis, et il ne doit en aucun cas se substituer aux forces de l’ordre et à leurs missions. L’image est forte et éloquente, une agression en plein métro, presque un lieu commun tellement cette violence est insérée au plus près de chacun d’entre nous, et une inactivité des soldats, lourdement vêtus de leur attirail de guerre, qui déclenche l’animosité des citoyens qui les entoure. Ce premier constat rappelle l’incongruité du moment très contemporain décrit : l’habitude prise de cette présence armée rivalise avec l’angoisse insufflée à la fois par les armes mais aussi par la menace sous-entendue par celles-ci.
Si, dans un premier temps, Léo est notre point d’entrée dans cet univers de violence, la vie de caserne, la solitude et l’hyper masculinisme qui y règne, cela cède très vide la place à une introspection du personnage lui-même. Ce très jeune homme, qu’on devine il y a encore peu de temps lycéen, présente des signes de déséquilibre très inquiétants, d’autant plus pour quelqu’un appelé à manier des armes à feu et leur potentiel au combien meurtrier – agressif, tant avec sa famille que ses condisciples. La structure militaire semble n’être qu’un exutoire à un fanatisme qu’on devine destructeur. Léo présente tous les signes d’un homme prêt à exploser au moindre choc, préfigurant le drame à venir qui ne saurait être évité par une hiérarchie aveugle et obnubilée par les enjeux et risques de terrorisme sur le territoire français.
Au delà de ce canevas narratif qui confine au drame, facile à suivre dans son déroulement, il faut signaler les principales qualités de La Troisième guerre, nichées dans ses acteurs, mais aussi dans une volonté de dépasser les évidences déjà signalées. Tout d’abord, le film révèle encore plus, si cela était nécessaire, le talent d’Anthony Bajon. Il affirme de film en film, comme cela sera le cas dans Teddy des frères Boukherma bientôt à l’affiche également, une palette de jeu et une intensité rarement vu dans sa génération et même au delà. Son rôle dans le film de Giovanni Aloi est complexe dans ce qu’il soutient absolument tout, son regard scrutant les moindres détails, faux point d’équilibre appelé à s’effondrer. Bajon est capable d’émouvoir par son désœuvrement, notamment une très belle scène de Noël où il se retrouve seul avec le personnage de Karim Leklou, excellent, soldat extraverti qui n’a que l’Armée pour famille. Ces fêtes de fin d’année révèlent de manière aiguë les failles chez chacun, et une fragilité déconcertante des personnages.
Un autre angle confère de la profondeur à cette histoire, c’est la place donnée aux femmes au sein d’un milieu presque exclusivement masculin. Le chef d’unité de Léo est une femme, jouée par Leïla Bekhti. Si elle représente l’autorité, le regard de Léo la montre également par indiscrétion dans ses instants de faiblesse, et dans la difficulté de réussir à progresser au sein de l’Armée qui freine énormément les carrières féminines. Enceinte de plusieurs mois, elle doit cacher cette grossesse pour continuer à prouver sur le terrain sa valeur et monter en grade. Les enjeux ne sont donc pas les mêmes pour les différents protagonistes, si certains jouent aux « petits soldats » faute d’avoir réussi à s’insérer dans la société, les autres, ici une femme, se battent pour faire carrière au sein d’un club pour hommes qui ne les tolèrent que du bout des lèvres en les cantonnant dans des zones où elles ne peuvent progresser à l’égal des soldats masculins.
La rencontre de ces problématiques avec un moment de crise, signifié par une manifestation, rappelle la difficulté à cohabiter au sein du même Etat pour toutes ces composantes souvent contraires. On a une foule hostile mais désarmée, luttant pour des raisons variées, qui se retrouve confrontée à des forces militaires dont les membres subissent également de plein fouet la misère sociale et les carences d’une France qui oublie tout le monde sans exception. La caméra de Giovanni Aloi ne juge pas et ne tombe pas dans une logique binaire qui condamnerait les soldats pourtant montrés à la faute dans un moment de tension extrême.
L’échec signifié par les dernières scènes du film démontre au contraire la crise existante et les risques qui existent à cause de la nature anxiogène du climat qui nous entoure tous. La troisième guerre est un conflit intestin, il sévit à l’intérieur même de nos corps, sans autre ennemi que nous-mêmes. Le drame n’en est que plus absurde et incompréhensible, gravant les dernières images du film dans nos mémoires, une naissance à venir certes, mais dans quel monde et pour quel devenir ?
Bande-annonce
22 septembre 2021 – De Giovanni Aloi, avec Anthony Bajon, Leïla Bekhti et Karim Leklou
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