LACOMBE LUCIEN
Juin 1944. Lucien Lacombe, jeune paysan travaillant à la ville, retourne pour quelques jours chez ses parents. Son père a été arrêté par les Allemands, tandis que sa mère vit avec un autre homme. Il rencontre alors son instituteur, devenu résistant, à qui il confie son désir d’entrer dans le maquis. Mais il essuie un refus. De retour en ville, il est arrêté par la police et dénonce son instituteur. Il est bientôt engagé par la Gestapo.
INCONFORT
Il est courant au cinéma (et même nécessaire) de s’identifier à un ou plusieurs personnages. Ce phénomène d’identification est à la base des sentiments que le spectateur va ressentir pendant le film. Ce processus est complexifié quand le personnage principal est malfaisant, ce qui nous conduit parfois à trouver des qualités, parfois même des excuses, à la pire crapule.
Avec Lacombe Lucien (1974), comme il l’avait déjà fait dans Le Souffle au cœur, Louis Malle ne prend pas de gants, et nous contraint cette fois à suivre un jeune homme qui passe du mauvais côté de l’Histoire. À 17 ans, Lucien (Pierre Blaise) n’est pas encore adulte, c’est un être rustre et parfois violent comme peuvent l’être les jeunes enfants. Suite à un concours de circonstances, il se retrouve enrôlé dans la police allemande, ce qui lui convient parfaitement. Non seulement il y trouve une sécurité financière mais cela lui procure également une forme de reconnaissance dont il est avide.
Lucien fait la connaissance d’un tailleur juif, Albert Horn (Holger Löwenadler), et de sa fille France (jouée par Aurore Clément, dans son premier rôle), dont il tombe amoureux. Il force son chemin dans cette famille – qui comprend aussi une grand-mère mutique – comme s’il était à la recherche d’une figure paternelle et d’une future femme. Ils se laissent faire, dans l’espoir que Lucien les aide à échapper à la machine de guerre nazie et à fuir en Espagne. Des rapports très complexes se développent entre eux. Lucien est parfois gentil, parfois odieux. Il est somme toute assez opaque. C’est un personnage regardé, et pas jugé, comme les aime Louis Malle.
Défaut d’idéologie
C’est ce manque d’idéologie de Lucien qui a tant dérangé à la sortie du film et cristallisé les critiques d’une France qui avait forcément du mal à regarder en face son passé collaborationniste. Quand on vous force à mettre le nez dans vos excréments, difficile d’applaudir. C’est pourtant le geste d’un véritable artiste.
Sur la forme, Malle opte pour un naturalisme poussé à l’excès : peu, voire pas de musique extra-diégétique, un éclairage naturel, un son en prise directe. Dans l’impossibilité de trouver un comédien de cet âge avec l’accent du Sud-Ouest, Malle cherche quelqu’un qui se rapproche du personnage, et il trouve Pierre Blaise, dont le père est agriculteur. « Il gagnait alors sa vie en taillant des arbres. Il a trouvé des rapports intimes avec le personnage, ce qui lui a permis de rentrer dedans. Il a une présence naturelle », dit de son acteur Louis Malle. Pour jouer France, la Juive qui entretient une relation avec un gestapiste, il choisit Aurore Clément, qui apporte à son rôle une grande justesse, une grande intensité et une certaine étrangeté, alors qu’elle n’était pas actrice, mais mannequin pour magazines. Il y a beaucoup d’ambiguïté entre eux.
Vives controverses
Écrit avec l’aide de Patrick Modiano, dont l’érudition sur la Seconde Guerre mondiale avait subjugué le cinéaste, le film déclenche comme le précédent de Louis Malle de vives controverses à sa sortie, et un grand nombre d’articles de presse. La plupart des critiques ignorent la dimension allégorique voulue par le réalisateur pour se focaliser sur la représentation de la Seconde guerre mondiale. Pourtant, le film aurait pu se dérouler à une autre époque. Son contexte historique est presque un prétexte pour atteindre une forme de vérité universelle, qui résonne avec la « banalité du mal » telle que décrite par Hannah Arendt, et remise en question depuis. Il n’y a aucun doute à avoir sur le fait que d’autres Lucien Lacombe continuent de surgir de-ci, de-là…
Très apprécié au-delà de nos frontières, le film a reçu le BAFTA du meilleur film étranger, une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger en 1975, ainsi que le Prix du meilleur film français du Syndicat de la critique de cinéma. Film sur un anti-héros par excellence, Lacombe Lucien ose regarder en face le côté abject de l’âme humaine.