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L’AFFAIRE NEVENKA

À la fin des années 90, Nevenka Fernández, est élue à 25 ans conseillère municipale auprès du maire de Ponferrada, le charismatique et populaire Ismael Alvarez. C’est le début d’une descente aux enfers pour Nevenka, manipulée et harcelée pendant des mois par le maire. Pour s’en sortir, elle décide de dénoncer ses agissements et lui intente un procès.

Critique du film

Présenté comme « le premier cas #metoo en Espagne », l’affaire Nevenkas’attaque à un exercice délicat : celui de revisiter, plus de 20 ans après les faits, l’une des affaires pénales les plus médiatisées de l’histoire espagnole récente. Peu connu au-delà des frontières ibériques, ce procès a pourtant marqué un tournant juridique majeur au début des années 2000, débouchant sur la toute première condamnation d’un homme politique hispanique pour harcèlement sexuel. Une histoire que la cinéaste Icíar Bollaín choisit d’investir par le prisme de la fiction plutôt que celui du documentaire. Une manière habile de mettre en regard les événements narrés avec des enjeux plus que jamais d’actualité.

La parole est d’or

Ce n’est pas la première fois que la réalisatrice aborde la question des violences faites aux femmes au sein de sa filmographie. En 2004, Ne dis rien mettait déjà en scène un personnage féminin cherchant à échapper à l’emprise d’un homme violent. À une époque où l’expression « crime passionnel » était encore largement employée pour désigner un féminicide, se pencher sur les mécanismes complexes qui régissent les violences sexistes et sexuelles n’avait rien d’évident. Deux décennies plus tard, L’affaire Nevenka explore à nouveau ces thématiques, avec un changement de perspective notable : passer du cadre de l’intime à une analyse plus systémique de ce type de violences.

Comme pour souligner l’importance de la libération de la parole, le récit est d’entrée de jeu présenté comme un long flashback raconté par la protagoniste à son avocat. Grâce à un travail de recherche minutieux s’appuyant en partie sur les procès-verbaux de l’affaire, Bollaín parvient à reconstituer une chronologie précise des événements. Elle expose ainsi clairement chaque étape de la longue manipulation psychologique subie par Nevenka. D’un recrutement faussement bienveillant aux premiers sous-entendus obscènes, en passant par les gestes et regards inappropriés, le film rend compte d’une mécanique perverse et inextricable. Un piège qui qui se referme et ne laisse à sa victime aucune possibilité de s’échapper. La cinéaste n’hésite pas à renforcer le sentiment d’impuissance totale en mettant constamment en exergue l’inégalité du rapport de force – autant physique que social – qui règne entre Nevenka et son agresseur.

Le courage est le prix de la dignité

Si elle peut sembler illustrative dans la première moitié du récit, la mise en scène se montre pourtant plus qu’incisive dans sa représentation de la lâcheté collective dont fait preuve l’entourage professionnel et personnel de Nevenka. Sans jamais porter de jugement sur les individus eux-mêmes, le film s’attarde avec lucidité sur les petites phrases lancées à l’emporte-pièce, les regards trop vite jugeant et la passivité avec laquelle on s’accommode trop facilement face à une situation abusive ; en bref, les rouages les plus « anodins » qui constituent le socle d’un système patriarcal établi et intégré par tous.

Le sentiment d’inconfort et d’injustice se fait d’autant plus prégnant que la réalisatrice fait évoluer petit à petit son régime de mise en scène pour se mettre au diapason du cauchemar et de l’isolement vécus par son héroïne. À l’image de son introduction ultra anxiogène, le film se mue progressivement en véritable film d’horreur, genre dont il reprend largement la grammaire et les effets (plans débullés, sound design angoissant, surcadrage qui enferme toujours plus Nevenka…).

Le regard d’Icíar Bollaín sur cette affaire ne se veut pas fataliste pour autant. D’abord car le film reconnait le chemin parcouru (aussi infime soit-il) depuis 20 ans dans la représentation des violences faites aux femmes. Notamment en ce qui concerne le traitement médiatique de ce procès. Pour l’illustrer, la cinéaste reprend de véritables archives de presse et télévisuelles de l’époque. Des images difficilement regardables en 2024, qui rappellent la puissance dévastatrice d’une société profondément inégalitaire qui refuse de se pencher sur ses dysfonctionnements. Des dysfonctionnements qui profitent encore et toujours largement aux agresseurs…

Enfin, la cinéaste laisse une place prépondérante au courage de Nevenka, sans jamais faire de celle-ci une icône à laquelle le.la spectateur.rice aurait du mal à s’identifier. Présente dans chaque plan, la jeune femme – brillamment incarnée par Mireia Oriol – irradie par son humanité et suscite constamment l’empathie, autant dans sa détresse que dans son incroyable résilience et détermination à retrouver « sa dignité ». Ce à quoi le film participe grandement grâce à l’intelligence de son approche, en plus d’adresse une accolade pleine d’espoir à toutes les Nevenka.

Bande-annonce

6 novembre 2024 – D’Iciar Bollain, avec Mireia Oriol, Urko Olazabal et Ricardo Gomez.