LE BON APÔTRE
Un homme se rend sur une île lointaine à la recherche de sa soeur, kidnappée par une dangereuse secte.
Prêcher des convertis.
Certaines équations sont immuables. E = mc2. Sexe + histoire de cul = meurtre. Dans le même genre, Secte + Horreur + Mystère = oreilles dressées. Alors, lorsque Gareth Evans revient dans son anglophonie naturelle, une première depuis son Footsteps en 2006, l’attente est grande. D’autant plus que le réalisateur a fourni deux films d’action qui ont marqué la décennie, The Raid et The Raid 2 : Berandal, en attendant le dernier opus de la trilogie, sans oublier une incursion remarquée dans le found footage avec un segment dans V/H/S 2. Technique, virtuose, le plus glorieux des Gareth offre à Netflix Le Bon Apôtre, Apostle en version originale, un film d’horreur ancré en 1902 dans un secte recluse.
Rien n’épouse mieux le mystère que les îles. De Lost à Le Prisonnier (partons de la théorie que Le Village est insulaire), en passant par Shutter Island, l’île est le parfait contenant d’une société, et par extension, d’idéaux en circuit fermé, pouvant s’exprimer pleinement sans que les personnages ni les spectateurs ne puissent s’en échapper. Qui plus est ici, encore, pour une secte vénérant une déesse dont on imagine rapidement, l’habitude aidant, le potentiel maléfique. Cette secte au large des côtes galloises est infiltrée par un ancien missionnaire, Thomas Richardson (Dan Stevens), pour y retrouver sa sœur qui y a été kidnappée. Soit une entrée physique et thématique plutôt classique, mais soit : comme dirait l’autre, c’est le mystère qui intéresse, pas la boîte, et encore moins la manière dont on nous l’offre.
Le Diable qu’on connaît
En amont d’Apostle, Gareth Evans, en tant que réalisateur, doit relever un défi bien à lui : ne plus être réduit à cet « action-guy ». L’initiative est tout à son honneur : elle est perçue dans The Raid 2, et est poursuivie ici. Si vous attendez de ce visionnage un déchaînement gore, passez votre chemin : le diable est dans les détails, et les détails font le cœur du sujet d’Apostle. On imagine facilement Evans travailler des mois à l’élaboration de ce village, depuis ses plus triviaux habitants jusqu’à ses dirigeants. Preuve de cette complexité fictionnelle, la figure de patriarche de la secte est divisée en trois : le taiseux apeuré (Paul Higgins, évidemment), le prophète orateur (Michael Sheen, évidemment) et la brute violente (Mark Lewis Jones, lui je connais pas par contre, mais il est tout aussi bon). Ainsi va du film en entier : Evans divise pour mieux régner, ses personnages, son action, et ses enjeux.
Ainsi tombe le premier couperet d’Apostle : sa longueur, ou plutôt, sa durée. Déjà entraperçue sur The Raid 2, Gareth Evans a cœur d’être exhaustif sur ses recherches et sur l’univers qu’il veut créer. Un univers construit de peur, d’autorité et de sacrifice au nom du bien commun, cristallisant la société du début du XXe siècle et formant même une grande partie des socles et héritages moraux occidentaux. Un univers qu’il décrit longuement, avec soin, faut-il préciser, mais dans un faux-rythme qui peut faire décrocher qui n’est pas spécialement attaché à l’équation présentée en introduction. Evans s’inscrit de plein pied dans l’héritage de l’horreur folk à l’anglaise, citant presque The Devils de Ken Russell, comparable dans la posture à Black Death de Christopher Smith ou A Field In England de Ben Wheatley. On y retrouve les attitudes gore-poisseux du premier et l’insolence rythmique du second.
On ne fait pas pour autant un livre simplement par addition de citations. S’il revisite avec la patte et la virtuosité technique qu’on lui connaît la forme de son genre, Gareth Evans suit ses inspirations à la lettre pour les enjeux moraux qu’il présente. Sûrement parce qu’il s’en est inspiré pour construire son île, ses secrets, ses passages et ses personnages, certes, mais à faire du fond de son propos la moelle de sa forme, Apostle ne devient finalement que de nouvelles prières pour des prêcheurs déjà convertis. Personne ne niera les efforts réalisés du côté de la mise en scène de la notion de sacrifice, ni de la ligne directrice sur le bien et du mal qui se nourrissent entre eux, mais tout cela est intériorisé, pour le spectateur de genre, depuis bien longtemps. Cela n’en fait pas un mauvais film, mais cela n’en fait pas ce qu’on attendait au fond, à savoir un film surprenant : et le Diable que l’on connaît, c’est le Diable qui ne nous fait plus peur.
La ficheAPOSTLE – LE BON APÔTRE
Réalisé par Gareth Evans
Avec Dan Stevens, Michael Sheen, Lucy Boynton…
États-Unis – Action, horreur
Sortie (Netflix) : 12 octobre 2018
Durée : 129 min